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Quelque part dans le Nouveau Monde:

-Tsssss, je l’ai choisi et tu la formeras comme les anciens ont formé tes maîîîtres avant toi. Elle sera ma voix sssur ce mooonde agonisant. Je l’ai choisie. Elle est ma prophétesssse.

La voix de Bahor resonne sous la voute du temple. L’homme-serpent redevient homme, regarde avec étonnement et admiration la jeune blonde avant de s’agenouiller. La plèbe, loin derrière, se regarde quelques secondes avant d’en faire de même. Des hommes, des femmes et même des enfants forment cette assemblée exclue des regards, à l’abri du monde et de son évolution.
Le maître des lieux se redresse et fixe Anthinea malgré sa taille bien inférieure à la sienne. Son regard déterminé, serein, plonge dans celui de la jeune femme. Sa mission divine est bientôt terminée. Voila plus de trente ans qu’il attend sa venue. Lui qui a été chargé, par le maître lui-même, de former la future prophétesse et de lui apprendre tous les rouages des Arcanes, de lui apprendre son rôle et son attitude à tenir face aux yeux du monde. Les yeux humides, il en pleurerait presque. Il se retourne vers la foule amassée au fond de la salle. Les bras grands ouverts, il intensifie sa voix, la faisant résonner d’une profondeur solennelle.

-Chères sœurs et chers frères… N’ayez pas peur et approchez. Venez rendre hommage à notre élue !

De dos, Anthinea ne sait pas ce qu’il dit. Sourde, je le rappelle, elle voit les adeptes se rapprocher pour former un arc de cercle devant elle.
Une petite fille s’approche de l’homme qui lui pose une main sur la tête avant de se décaler et l’inciter à s’approcher. La petite tête blonde se meut jusqu’à notre héroïne obligée de poser un genou afin de réduire la différence de taille. La petite tend les bras. Confuse, Anthinea regarde quelques secondes la foule impatiente de sa réaction puis l’homme serpent qui l’incite à agir d’un mouvement de tête et d’un sourire. La géante prend l’enfant dans ses bras. Son corps est ridicule contre celui d’Anthinea.

Le temps d’un claquement, elle se revoit petite dans ceux de sa mère. La joue contre les cheveux de la jeune fille, elle se remémore une époque lointaine où elle avait cet âge, où les choses étaient différentes et qu’elle avait encore une famille qui tenait à elle. Aujourd’hui, elle risquerait d’être pendue haut et court si elle reposait les pieds à Erbaf. Une foule de souvenirs, qu’elle essaye d’oublier, lui revienne en mémoire. Le contact de ce petit corps à l’odeur enfantine lui fait monter les larmes aux yeux qu’elle ravale d’une inspiration et expulse d’une expiration lente. Au fond d’elle-même elle ressent cette petite boule d’émotions positives, elle le sent et le sait au plus profond de ses entrailles : elle a trouvé sa nouvelle famille.

///

Les présentations passées, l’homme qui dirige le temple n’est autre que Voldomert, adepte et disciple de Bahor depuis plusieurs dizaines d’années. Il lui explique sa future formation et ce que signifie son arrivée : la venue des prophètes.

Partout dans le monde d’autres hommes et femmes se voient confier le salue du genre humain. Tout comme elle, ils ont, suivent ou suivront les enseignements de leur dieu respectif. Tout comme elle, ils prendront la mer un jour et se réuniront pour répandre la bonne parole et unifier la terre sous la gloire et la lumière de Xylor. Mais, pour le moment, tel n’est pas ma question. Pour le moment, Anthinea doit se concentrer sur son apprentissage et améliorer ses capacités ophidiennes. Elle doit maîtriser chaque aspect de son art à la perfection, passer de sa forme humaine à animale et hybride sans soucis. Elle doit prendre possession de son totem et le sublimer, incorporer dans chacune de ses cellules le venin qui anime le monde et ne plus faire qu’un avec ce pour quoi elle a été choisie.

Le laïus ennuyeux fini, Voldomert la conduit à travers plusieurs boyaux de pierres taillés. Le temple, bien plus grand à l’intérieur, s’enfonce sous la terre tel un nid de serpent.

Sur son passage, d’autres croyants s’ameutent pour voir leur prophétesse. Certains s’agenouillent, certains ne peuvent s’empêcher d’échanger quelques mots avec leurs voisins et d’autres restent sans voix devant la stature de leur nouvelle maîtresse. Une poignée de minutes s’écoulent avant qu’Anthinea ne tombe face à une nouvelle porte gigantesque faisant deux fois sa taille. Tout en fer forgé, deux gravures aux allures de Bahor surveillent l’entrée.
Tandis qu’elle reste émerveillée face aux représentations de son amant, le vieil homme sort une clef de sa poche. La base représente une queue enroulée sur elle-même et zigzague pour finir en tête de serpent prêt à mordre.

Il tourne, la serrure s’ouvre : la salle est aussi grande que les portes le laissaient présager. En voyant les lieux, Anthinea en a le souffle coupé. Un flashback lui revient en mémoire, c’était au solstice d’hiver. Elle s’était perdue dans la montagne et retrouvée dans une salle identique, taillée à même la roche comme si un serpent fantastique avait façonné la salle de son propre corps sinueux.

Cependant, au lieu d’y découvrir un fruit démoniaque, elle vit, sur l’autel central, deux bracelets métalliques en argent.

-Voila ton cadeau et ton arme…

-Esquive !... Utilise tes bracelets !... Anticipe plus !... Attaque. Pas aussi franchement, on lit ton mouvement sans aucune difficulté… Tu veux vraiment devenir Prophète ou est-ce par égoïsme ?... Voilà, c’est mieux… Regarde où se dirigent mes yeux, comprends mes intentions et prend de l’avance… Cxest bien mais pas assez rapide. Continue…

Ses journées, réglées comme une horloge, se ressemblaient et se répétées sans cesse, comme le soleil suit la lune. Une certaine monotonie s’installa. Mais, contrairement à ses jours d’école sur Erbaf, elle aimait être là. Il s’agissait d’un travail difficile, certes, mais qui l’emplissait de force et de détermination. Anthinea savait qu’elle ne faisait pas cela pour rien. Elle savait qu’elle suivait le sillon que Bahor lui avait tracé. Elle comprenait enfin les évènements de sa vie, bons comme mauvais. Pourquoi elle était née avec ces handicapes. Sa taille était celle de sa forme animale et hybride. Sa surdité faisait sens à son aspect ophidien. Toutes les questions qui la tourmentaient enfin avaient enfin une réponse et un but supérieur aux problèmes du monde.
Elle se devait d’être parfaite dans son rôle de Prophétesse, qu’elle avait accepté à bras ouverts.

Outre ses entrainements à l’Arcane des Prophètes de Bahor, elle devait tout aussi connaître par cœur la voie du tout puissant. La naissance du monde et des fils et filles de Xylor. Leurs rôles et implications dans la nature du monde ainsi que les comptes et écrits sur les anciens messies. Les relations et distensions entre les dieux. Tout. Elle devait tout connaître sur le bout des doigts. Pour arriver à cela, elle passa de nombreuses heures et même journées dans la bibliothèque du temple.
Invisible sous les piles de livre, elle lisait jusqu’à tard dans la nuit, s’endormant de nombreuses fois sur sa chaise.

Elle passa tout son temps à se perfectionner et à tisser des liens avec les adeptes de Bahor. Souvent, elle retrouvait Angela, la petite fille qui l’avait accueillie, et discutaient pendant des heures. L’enfant, trop jeune pour lire en premier lieu, écoutait les histoires, les yeux grands ouverts, pétillant de vie et d’admiration, devant ces êtres divins mi-homme mi-animal qui leur avait offert ce monde si beau et si parfait. Souvent, Angela s’endormait en écoutant Anthinea lui lire les histoires de Koiza la colérique, de Mirko l’amical ou encore de Jogard le Cruel. Un sourire en coin, la jeune femme se transformait en serpent ou sous sa forme hybride et s’enroulait autour de la fille, comme elle l’avait vécu dans cette grotte.

- Concentre toi… Maintien la pression dans tes glandes venimeuses et relâche ton poison avec force. Non ! Recommence… Tu es fatiguée ? Tu veux quxon arrête ?... Non. C’est quand le corps est fourbu et que l’esprit ne suit plus que le vrai travail commence… Encore.

Les jours et les nuits continuèrent ainsi durant de nombreux mois. Ces mois se transformèrent en années et elle vécut paisiblement entre les entrainements, ses lectures et les leçons de Voldomert. Tout cela dura 6 ans jusqu’au jour où le petit village, situé de l’autre côté de l’ile, décida de rompre la trêve en rasant la forêt afin de s’agrandir.

La journée commence comme toutes les autres. Angela encore endormie dans les bras d’Anthinea, cette dernière la soulève délicatement avant de glisser dans les couloirs du temple et la déposer dans son lit. Un baiser sur le front plus tard et la prophétesse se dirige sans un bruit vers la salle d’entrainement.
Sur son chemin, elle croise de nombreux croyants de Xylor qui la salue avec respect et admiration. Ici, elle est aimée. Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas sentie appréciée par les personnes vivant avec elle. Cet état des lieux lui donne un sentiment de colère lorsqu’elle repense à sa famille et à Erbaf. Elle s’imagine réduire ce village, le faire disparaître des cartes, pour se venger et expier la solitude qu’elle a vécu.

Arrivée dans la grande salle où du matériel traine ça et là afin de créer des obstacles et exercices en tout genre, elle ne voit personne. Son maître n’est pas là. Etrange, alors elle attend plusieurs minutes. Les portes s’ouvrent, surprise, un adepte a remplacé Voldomert.
Une lettre entre les mains, il s’approche de la jeune femme et lui tend l’enveloppe. Sourcil relevé, elle remercie l’homme qui disparait aussitôt, retournant à ses tâches. La missive lui demande de se rendre dans les appartements du chef des lieux. Cela ne lui ressemble pas et de nombreuses questions lui viennent en tête. Avide d’obtenir les réponses, elle n’attend pas plus longtemps et glisse vers le lieu du rendez-vous.

Le bureau, situé dans les hauteurs du temple, donne sur l’entrée principale et la canopée de la jungle. Les arbres s’étendent à perte de vue pour rejoindre, à l’horizon, la ligne bleue du ciel. Assis dans un fauteuil, Voldomert invite Anthinea à le rejoindre et s’assoir en face de lui.

-Merci d’être venue si vite… Je ne vais pas tourner autour du pot : nous avons un problème de première importance à régler. Cela fait maintenant vingt ans que nous avons signé une trêve avec le seul village de cette île.
Ce sont des colons qui se sont installés ici afin de fuir la corruption et la loi martiale installée par la mafia sur leur île. Les peurs réciproques et les différences d’opinions nous ont rapidement opposés soldant ces dissensions par de violentes attaques.
Rapidement, nous avons mis en place une trêve. Nous avons convenu d’un territoire pour qu’ils s’installent, en contrepartie, ils ont promis de ne pas s’étendre davantage.
-J’imagine qu’ils cherchent à sss’étendre aujourd’hui.
-Oui. D’après mes petits serpents, ils ont élu un jeune dirigeant belliqueux avec la folie des grandeurs.
-Que dois-je faire ?
-Tu comprends vite, c’est une bonne qualité… Il leur faut un exemple. Leur montrer que l’on ne rigole pas avec les adeptes de Xylor et, spécialement, avec les enfants de Bahor.
-Puis-je le tuer ?
-C’est même ton but initial. Si tu le laisses vivre, son arrogance en grandira, ses supporteurs grandiront et les attaques recommenceront. Il faut que tu coupes la tête de ce mouvement. Tu as carte blanche…

Sans un mot, la jeune femme se lève avec un large sourire pernicieux en travers du visage. Un simple mouvement du menton pour confirmer qu’elle accepte sa mission divine et la voila en direction de l’entrée principale. Déterminée et résolue, un plan s’échafaude dans son esprit. Il faut en faire un exemple, montrer la supériorité intrinsèque à notre statue et leur faire payer leur arrogance. Le tuer serait trop bon, un autre prendrait sa place. Il est nécessaire de détruire toute ambition de leur part. Leur montrer que l’on ne peut bafouer les engagements et les convertir à travers la juste sentence divine. Se déplaçant comme un ombre dans la moiteur sylvestre, son désir de punition divine augmente.

Le village, situé à l’opposé du temple, est constitué de maisons simples en bois et est cerclé par une palissade. Seule infrastructure importante, un bâtiment en pierre surplombe les demeures par sa taille. Le soleil couchant projette ses derniers rayons sur la petite ville en pleine expansion. Tout autour, la jungle a été rasée et les fondations de bâtisses voient le jour ici et là.
Cachée par les fourrés, Anthinea observe de son œil de prédateur, guettant les mouvements de ses potentiels proies. Des hommes, en bleu de travail, rangent leurs outils et se dirigent en petits groupes vers les portes de la cité. A l’entrée, des gardes armés vérifient les identités tout en rigolant avec les travailleurs avant de les laisser entrer.
Conclusion, impossible de se faire passer pour un simple citoyen, une solution plus discrète est nécessaire.

Anthinea continue son tour d’observation. D’autres gardes patrouillent tout autour des remparts, les rotations sont serrées et il serait difficile d’escalader l’obstacle sans se faire repérer par le premier clampin venu.
Elle continue sa route tandis que le soleil laisse place à la douceur de la nuit et à la lumière des astres. Est-ce une erreur, un oubli de leur part ou tout simplement un manque de jugeote ? Peu importe la réponse, il en résulte une faille dans leur défense. En effet, taillé à même la roche, et bloqué par un grillage solidement soudé, un passage étroit se dessine dans le palis.
Après quelques secondes à capter les particules en suspension dans l’air, une moue de dégout s’affiche sur le visage froid de la jeune femme. En cause, le passage d’où proviennent des émanations de rejets et déchets en tout genre ne pouvant signifier qu’une seule chose : les égouts.

Elle attend que la nuit, son terrain de jeu, s’installe. Une fois que la lune est haute dans le ciel et que les nuages obscurcissent les paysages, la chasse commence. A l’abri des regards, camouflée par la végétation, elle avance d’un pas élégant.
Sa proie en tête, elle n’a qu’un seul objectif.
La lisière se dessine sous ses yeux tandis que son corps se métamorphose. Ses jambes se rapprochent et s’enroulent l’une sur l’autre pour former une courbe écailleuse. Son corps se recouvre petit à petit de squames tandis qu’il s’affaisse vers le sol. Elle n’est plus qu’à quelques centimètres de la zone à découvert. Ses bras, collés au corps, se lient au tronc pour ne plus faire qu’un. Sa tête s’affine sur les tempes et s’allonge pour ne laisser qu’une langue bifide frétillante. Elle sort des broussailles en ondulant jusqu’à sa cible. Les barreaux bloquant l’accès, trop petits à l’origine, se transforment en véritable invitation...

Sur la palissade:
-T’as vu ça Jim’ ?
-Quoi encore ?
-Un serpent de… j’sais pas moi… 2, 3 mètres entrer dans les égouts.
-Qu’est-c’qu’tu veux qu’ça m’foute ? Hein.
-Et si c’était un coup des autres tarés ?
-Pfff, n’imp’. C’pas possible d’dresser des serpents mon con. Ils doivent être en train d’bouffer des cafards et tout là. Bwahaha.

Les égouts enfin remontés, Anthinea attend le bon moment pour sortir. A l’abri derrière une nouvelle grille, elle guette le moindre mouvement grâce à la chaleur émise par les corps.
Devant elle, un groupe de personne discute, peut être des gardes, tandis qu’un autre, composé de deux adultes et un enfant -une famille- rentre tranquillement dans leur chaumière. Plusieurs minutes s’écoulent et, bientôt, il ne reste plus que deux hommes. Le premier quatuor s’est divisé en deux un peu plus tôt, pour réaliser un tour de garde obligatoire.

Elle y voit son opportunité et sort de sa cachette. Glissant sur le sol froid, elle contourne les deux sentinelles en évitant avec soin les halos de lumière projetés par les torches qui claquent. Elle s’enfonce dans les ruelles de la ville. Elle ressent les fortes vibrations dans le sol, les gardes passant près d’elle. Sur cette petite ile perdue, rien ne trouble le silence routinier.

Anthinea se retrouve à portée de la fameuse demeure. Arrêtée, un coup de langue capte l’air et ses effluves. Elle ressent les cendres des torches, la sueur de l’armure ainsi qu’un parfum féminin. Un parfum subtil et raffiné, à la tête fleurie, au cœur de pêche avec un fond de vanille. Senteurs impossibles à dénicher dans ces contrées, il ne peut s’agir que de commerce.

Anthinea vient d’ailleurs elle aussi, elle connait le monde et ce qui l’entoure. Elle a vu l’arrogance du monde et leur désirs pathétiques. Cette pensée éveille un sentiment de crainte. Leur volonté de croitre est nulle. Cette île ne leur appartient pas. Le maître ici bas est Bahor. Leur présence est un affront et leur ambition une insulte à la volonté divine. Imaginant la punition, elle pense au parfum, à cette femme qui se pomponne, propre sur elle mais noire dans le cœur. Elle qui bafoue nos idoles comme on balaye les feuilles morte…

Anthinea ne sait ce qu’elle trouvera mais sa vengeance est pure, solennelle. Comme une marionnette, ses actes sont guidés par une puissance supérieure. Elle tourne, cherche un point d’entrée et trouve une fenêtre entrebâillée. Elle patiente, un homme approche. Une ligne bleue, dans les fluctuations chaudes indique une arme et, plus précisément, une lame. Elle patiente. Il n’est plus qu’à quelques centimètres. Son dernier pas le place à ma portée.

La bête sauvage bondit sans avertissement. Les crocs en avant et le corps élancé, ses bras réapparaissent tandis que son visage reprend une forme humaine. Le cri du garde est, par chance, étouffé un peu par la peur, la surprise ainsi que ma prise. Les crochets plantés et retirés de son cou, ses bras écaillés maintiennent la prise autour du cou. Sous sa forme hybride, l’homme, bien plus petit, n’arrive pas à se dégager. Après un rapide coup d’œil, La prophétesse tire le pauvre homme à l’abri des regards. Endormi par la prise, il ne se réveillera pas… avec un peu de chance.

L’entrebâillement, à quelques pas, il n’en faut pas plus pour la voir glisser à l’intérieur.

|Hors Rp : Bon, j’ai voulu tester le TPS mais je suis plus à l’aise avec le FPS, l’habitude peut-être. Désolé du changement de pronom ! |

La bâtisse est, autant que possible, luxueuse. D’immenses tableaux, représentant des scènes de batailles navales, des paysages ou natures mortes, ornent les murs froids ainsi que des trophées de chasse. Les torches, à intervalles réguliers, projettent leur lueur et donnent aux décorations des allures sinistres. Au sol, de nombreux tapis recouvrent la pierre brute. Les teintes et les couleurs semblent avoir été choisies au hasard, sans liaison entre les différents éléments. Comme si chaque objet avait été posé négligemment sans essayer de s’accorder à l’ensemble. Pour résumer : c’est dégueulasse.

De nouveau femme, mes pieds trainent sur les différentes moquettes. En plus d’être de mauvais gout, leurs fibres sont rêches et pas agréables. J’avance, passe à travers une cuisine silencieuse où les casseroles et marmites dorment jusqu’à l’effervescence du matin. Du haut de mes trois mètres cinquante, mon crâne frôle le plafond, sensation désagréable.
Rapidement, je me retrouve en bas des escaliers. Je grimpe doucement les marches, les unes après les autres je me rapproche de ma cible. Je peux sentir le parfum à plein nez, pas besoin de me transformer, il embaume l’étage supérieur. En haut, un couloir me laisse le choix entre plusieurs portes. L’une est bloquée, la seconde s’ouvre sur une salle de bain. La troisième est une chambre d’enfant en bas âge. Au centre, un landau vide trône magistralement tandis que des peluches, dispersées à droite et gauche, jonchent le sol en attendant leur futur propriétaire… Un bébé sur le chemin. La mise en garde n’en sera que plus frappante, parfait. Un large sourire se dessine sur mon visage tandis que je referme la porte et me dirige vers la dernière pièce.

La porte se décale doucement laissant à ma vue le pied d’un lit et deux fauteuils aux couleurs ocres. Passant ma tête par l’entrebâillement, je découvre deux corps emmitouflés sous un drap. L’un a une longue chevelure rousse et, dormant sur le dos, son ventre gonflé ressemble à un ballon. Pas de doute, il s’agit de la femme soignée et, par déduction, son mari, et leader du village, ronfle paisiblement à côté d’elle. Une envie carnassière anime mon visage tandis que l’adrénaline se déverse dans mon corps.

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Que faire ? Attaquer l’homme ou la femme ? Propre ou sauvage ? Laisser la femme vivre… Mon sourire grandit. Elle sera la première. Elle qui profane Bahor par sa luxure et le mauvais gout. Ils ne souilleront plus cette terre bannie. Seuls les adeptes du dieu Serpent le peuvent, comme une punition honorée avec gloire. A moins… qu’elle n’embrasse la lumière. L’enfant n’a rien fait. Les malheurs frappent cette terre. Mais ce poison, source d’exclusion, rend visible la bonté de Xylor.
Un pas lascif me glisse jusqu’à son chevet. Minuscules et inexistants, ils m’inspirent une joie profonde. Celle de la traque. La jeune mère sourit et se touche le ventre tandis que le père frotte son nez sur le coussin. Ridicules. Eux qui rêvent de grandeurs… Quelle folie.

-Pourquoi tourner le dos à l’évidence ? Il est sssi sssimple d’accepter la vérité.

La femme sursaute et ouvre la bouche. Certainement en train de crier, son regard attrape le mien. Je la laisse voir mon âme. Entière et pure. Tandis que ma peau change de forme. Mes pieds disparaissent et les écailles me couvrent le corps et l’âme. L’homme, quant à lui, comprenant la situation, attrape son épée et frappe. Distraite, l’arme entaille mon bras et, surprise, je siffle en reflexe. Mes crochets venimeux au-dessus de son visage, il retente la chance. Mes bracelets en contre, son fer taillade le mur produisant une gerbe d’étincelle au-dessus de la femme. Il ose frapper, riposter contre la volonté suprême. Je bondis et le frappe de tout mon poids. Son épée tinte en tapant le sol. Il bascule du lit et je retombe sur lui. Écrasé par mon poids, il encaisse le choc dans un râle et me laisse le temps d’armer mes doigts. Une main prête à s’abattre, l’autre le maintenant sur les carreaux.

-Païen, tu veux t’agrandir… tu sssouilles le royaume de Bahor et pour cela…

Mes doigts s’écrasent sur son ventre. La force mise dans l’attaque, et la forme de crocs prise par mes doigts, me permettent de déchirer son simple haut et d’enfoncer violement les deux premières phalanges dans son estomac. Je sens sa peau et ses muscles se contracter sous la douleur ainsi que la chaleur du sang suinter de sa plaie avant de marquer le sol et se répandre en une flaque difforme. Il crie de douleur tandis que du sang colore ses dents et glisse d’entre ses lèvres contractées. De la fenêtre, j’aperçois des lumières naître dans les chaumières et des points lumineux remonter la rue vers la bâtisse.
Un nouveau sourire sur les lèvres, l’heure de la messe est arrivée...

D’une main ensanglantée, j’attrape le visage de ma victime. Ma poigne englobe sa face, tordue par la douleur, comme une enfant attrape une poignée de friandises. La femme, toujours paralysée, les mains sur son ventre, protège sa progéniture : reflexe animal. Je la regarde, le visage fermé, et lui indique la marche à suivre d’un simple mouvement du menton. L’homme, entre la vie et la mort, se tortille face à la douleur pernicieuse qui lui ronge l’estomac. Un pied après l’autre, je me retrouve sur un balcon ample surplombant une place minime. Les lumières dansent dans les ruelles de la ville et, rapidement, les premiers visiteurs se rassemblent en contre-bas. Leurs visages expriment la surprise face à la scène.

Face à eux, dans les appartements de leur dirigeant, une femme serpent se dresse de sa taille démesurée et les fixe, les uns à la suite des autres. Derrière moi, la femme est appuyée, tremblante comme une feuille, contre le mur de pierre. Leurs expressions se métamorphosent. Certains prennent peur, d’autres sentent monter en eux une rage colérique les derniers deviennent livides et ne savent où se mettre.

Le silence trône en maître sans prendre en compte les supplications et gémissements du maître des lieux ou, devrais-je dire, de l’ancien maître. Chaque habitant retient son souffle, les respirations lacunaires se synchronisent et transforment la foule en une seule masse vivante. L’attention captée, je contracte mon bras et soulève leur leader. Leurs yeux exorbités impriment un sourire sur ma vengeance.

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Suspendu par un simple fil, le silence et des os se brisent lorsque le corps du gueux frappe le sol. Personne n’ose s’y approcher, comme une ligne de démarcation. Terrifiés, voilà leur limite. La tête coupée, le corps se délie. Je lève mes paumes au ciel. Un vertige me fait fermer les yeux. Est-ce l’adrénaline, le trac ou de l’angoisse ?

-BAHOR ! … Je prends une inspiration.
-BAHOR A DIS :

« Sssi j'aiguise mes crocs et sssi ma main sssaisit la jussstice. Je me vengerai de mes adversaires et je punirai ceux qui me haïssssent !
J'exercerai de grandes vengeances en les châtiant avec fureur et ils sssauront qu’il est Éternel quand j'exercerai, sssur ceux qui n’ont pas écouté, sssa vengeance.
Dites à ceux qui ont le cœur troublé :
-Prenez courage, ne craignez point !
Car voici venu Xylor !
Il sauvera ssses enfants de Karkan.
Il ne prendra point sssous sa protection celui qui cache ssses transgressions. Mais...
Celui qui les avoue, et les délaisse, obtient miséricorde. »

Chaque mot est ponctué dans le temps et dans le ton, les intonations répétées et la cadence apprise. Les heures passées à lire, à apprendre et se remémorer les passages. Tout cet entrainement intellectuel porte enfin ses fruits. La foule absorbe ses paroles. Certains acquiescent discrètement, d’autres suivent le mouvement.

-Repentez-vous donc et convertissssez-vous. Si, votre cœur est juste, vos péchés ssseront effacés. Le malheur frappe les méchants et ssseuls les ennemis de sa lumière sssont châtiés. Vous, qui êtes venus ici le cœur corrompu, qui avez suivi le malin infiltré dans cet homme, vous êtes sssur le territoire terrestre de Bahor, 6eme fils de Xylor, maître des paroles mensongères, il perce la vérité. Les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers, les impudiques, les enchanteurs, les idolâtres, et tous les menteurs, leur destin sssera la demeure des bannis. Agenouillez-vous et vous ssserez sssauvés.

Le buste penché au-dessus de la balustrade. J’ouvre les yeux après la fin du serment et observe la foule. Elle hésite. Je baisse les bras. Chacun se regarde, se demandant quoi faire. A la fois perplexe et décontenancée. D’un coup d’œil, la future mère se dresse face à moi. Les poings fermes, elle tremble de bas en haut. Je reprends forme humaine :

-AGENOUILLES-TOI !...
-Dégénérée !
-Monstre de foire !

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Les insultes pleuvent mais je ne découvre l’état belliqueux de la populace qu’en me retournant. Les gardes ont leurs épées en mains, certains ont ce que l’environnement a pu fournir en morceaux de bois et autres outils quelconques. Ils ont voté leur perte, l’abandon du droit chemin et se sont fait complice du malin.

-Sssi tu avertis le méchant qui ne ssse détourne pas de ssses pêchés et de sssa mauvaise voie, il mourra de son iniquité tandis que je répandrai sur lui ssses fautes. Je cracherai contre lui avec le venin de ma fureur et mon bras frappera comme l’orage au milieu de la tempête…

Le pied sur la rembarde, je bondis.

Le pied sur la rembarde, je bondis.
Bondis et frappe, tous ces bandits.
Craquements sourds, sonnent les tambours.
Déclare la guerre et ressens ma colère.
J’glisse sur le sol, saute et choppe en vol.
Les crocs dans la chair, mon âme se libère,
J’aspire à la lumière.

Le sang gicle, sentiment puissant,
Le regard menaçant, perce l’éther,
M’égard, hagard, dans les délices du vice.
Prémices d’un sacrifice aux odeurs de lys,
J’esquisse un sourire aux couleurs d’abysses.

Esquive une lame, la mort plane.
Et condamne une âme.
Le quidam, sur le macadam, a perdu 21 grammes.
La mort, cette belle-dame, frappe comme un matador,
Carnivore, elle dévore ces être incolores et inodores,
Mes mains le sécateur d’leur aurore.

Transpercée, un gout de rouille sur les lèvres.
L’hémoglobine prédomine.
Elle m’endoctrine, j’arme mes canines.

Une mère pleur son petit, parti trop tôt,
Elle le rejoint, illico-presto et sans un mot.
Suivit par son amant, son mari, son intello.
Dernier soubresaut, dans la voix un tremolo.

Seule, sanglante et grande gagnante
Je disparais sans peine,
La vision trouble, je m’écroule.
Contre mon flanc…
Une tâche de sang.

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