Une grande famille déchirée [FB - Solo]

« - Leslie, va donc réveiller le monsieur, dit une voix, presque imperceptible, comme lointaine.
- Tout d’suite pap’ ! » lui répondit une autre, bien plus enfantine, plus féminine également.

Quelques secondes de plus, et la fraîcheur d’une main d’enfant secouait l’épaule d’un Bartolomew endormi dans un lit de paille, à l’intérieur d’un petit bateau de commerce. Ouvrant difficilement les yeux, la silhouette de la jeune fille se dessina peu à peu devant le marine.

« - Bonjour, Leslie, s’exclama-t-il, finalement éveillé.
- On est arrivé au Royaume de Briss m’sieur ! répliqua-t-elle immédiatement, un sourire aux lèvres.
- Parfait, j’arrive, » conclut-il en lui indiquant la porte de sortie.

Il avait payé un commerçant pour qu’il l’emmène jusqu’ici, le Royaume de Briss n’étant pas réellement enclin à voir un navire de la marine s’amarrer à ses côtes. Sortant de sa petite chambre, ses getas en mains, Bartolomew plissa les yeux face à la lumière du soleil, rabaissant son bob pour qu’il l’en protège. À sa gauche, les plages de Briss. Fermant les yeux, il prit le temps d’apprécier une longue inspiration. Ce que cette île lui avait manqué. Donnant au capitaine du petit bateau les quelques Berrys qu’il avait demandé, plus quelques extras supplémentaires, Bartolomew James Brams foula à nouveau les terres qui l’avaient vu naître. Le chemin de la maison, il le connaissait très bien.

- La Marine n’en pouvait plus de toi, Goldenhair ? l’interloqua une voix.

Il s’agissait là de Yerdrun Fimmgorden, un pirate des Bulldogs qui devait avoir au moins le double de l’âge de Bart. Lorsque celui-ci le vit, il lui ouvrit immédiatement ses bras.

- Yerdrun ! Mon ami ! Cette petite moustache te va à ravir ! lui répondit le marine à la fin de leur étreinte. Non, mais ça ne saurait tarder, haha ! Je viens pour voir mon fils, tu t’en doutes, conclut-il poliment en reprenant son chemin.

La maison dans laquelle il avait grandi lui faisait désormais face. Toujours aussi simple, d’un bois pourtant toujours si soigné. La dernière fois qu’il avait vu son fils, ce dernier ne tenait même pas sur ses petites jambes, ne savait prononcer aucun mot. Aujourd’hui, il devait probablement savoir faire les deux. Doucement, sans un bruit, il ouvrit la porte d’entrée. En guise d’entrée, un long couloir d’un bois peint en blanc. Sur sa droite, un petit meuble à chaussures dans lequel il range silencieusement ses getas. Au bout du couloir, un rideau noir en guise de porte. Rien n’avait changé. Tout était resté à sa place, et il était prêt à parier que sa chambre était restée la même. Parcourant le couloir en silence, il sentit l’odeur des cigares de son paternel, entendit le bruit du papier journal dans ses mains, là, juste derrière ce rideau. L’ouvrant partiellement, il jeta un œil. Son père était là, les pieds sur la table, le verre de whisky également, le cigare entre les lèvres, le journal dans ses mains. Il avait tout bon.

- Tu as pris du bide, pap’ ! s’annonça-t-il en entrant dans le salon de la maison.

Clarence resta bouche bée, les yeux rivés sur son fils. Lentement, il plia le journal et le posa sur la table, faisant de même avec le cigare qui lui était tombé sur les jambes. S’avançant vers lui, Bartolomew fut surpris de sentir combien il était bon d’être dans les bras de son père.

« - Tu m’as manqué, paps, lui dit-il sans daigner le lâcher.
- Toi aussi mon fils, lui répondit-il doucement avant que Bart ne mette fin à l’étreinte.
- Où sont maman et Jennie ? Lisa ? demanda le fils.
- Eh bien, ta mère est aux fourneaux, comme d’habitude. Tu verras, héhéh, cette cuisine en plein air à bien évoluée ! commença à répondre le père.
- Ah oui ? J’irai jeter un œil, faut bien que j’aille voir maman de toute manière, lui répondit-il.
- Jennie s’occupe de Guyderoy, et Lisa doit être en haut, avec le petit, termina Clarence.
- Guyderoy ? Mmmh... Merci paps, on se revoit tout à l’heure, profite de ton cigare, » conclut Bart en lui avalant cul sec son whisky avant de lui tirer la langue.

Soulevant un nouveau rideau noir, Bartolomew s’engagea dans l’escalier menant à l’étage. L’escalier était rempli de cadres, dont les photos allaient de simples photos de famille à des photos prisent avec l’ensemble de l’équipage des Bulldogs. L’une d’elle représentait Bartolomew et son ami Salazar, fils de Guyderoy, couverts de boue et tout souriants. Le bois craquelant des marches de l’escalier avaient sans nul doute alerté Lisa, la mère de l’enfant de Bartolomew. Il arriva finalement à l’étage. Immédiatement à sa gauche, il trouva sa chambre, effectivement inchangée. Une chambre des plus simplistes, des murs dénués de décorations, à l’exception d’un pavillon orné d’une cloche en or ; le pavillon des Bulldogs. À sa vue, Bartolomew laissa un sourire s’échapper. Lisa apparue à l’entrée de sa chambre, leur fils dans ses bras et un sourire en guise de cadeau de retour. Immédiatement, Bartolomew se rua vers son enfant, qu’il prit dans ses bras.

« - Harbard, chuchota-t-il à l’enfant. C’est papa, lui dit-il alors que l’enfant parcourait son visage du bout des doigts en riant d’un rire des plus beaux, des plus innocents. Je suis revenu pour te voir, mon petit bébé, continua-t-il alors que des larmes s’échappaient, trouvant leur chemin sur ses chaudes joues. Papa va rester avec toi un moment… Lisa, tu arrives à t’en sortir ? L’argent que j’envoie arrive bien ?
- Maman parle à moi de papa, répondit Harbard, surprenant son père.
- Ah oui ? Tu me diras ce qu’elle dit de moi, d’accord ? reprit-il en riant, près de l’oreille de son fils.
- Oui, je reçois bien l’argent Bart. C’est dur, mais il développe très bien ses autres sens. Il parle bien, il a parfois du mal à s’orienter encore, mais ça s’améliore. Tu peux être fier de ton fils, répondit finalement la mère de l’enfant.
- C’est bien ça ! Hein fiston ? Papa sera toujours fier de toi ! Toujours ! Et quand tu auras l’âge, papa t’apprendra à te défendre ! continua-t-il en posant son fils sur le sol, s’abaissant à sa taille.
- Bart… reprit Lisa.
- Lisa. Notre enfant n’est pas différent des autres, il aura besoin de savoir se défendre comme tout le monde. Arrête de le traiter comme s’il était spécial. Il apprendra à s’orienter avec son odorat, avec son ouïe, ne pas voir n’a jamais empêché qui que ce soit de vivre ! répondit-il à la mère de son fils d’un ton plus colérique, avec laquelle il ne partageait aucune autre relation. Je vais aller voir ma mère et ma sœur, je serai de retour dans quelques heures, je pense, » conclut-il en embrassant le front de Harbard et en enlaçant Lisa avant de redescendre.

Rebroussant chemin, Bartolomew repassa devant son père, à qui il fit signe avant de continuer son chemin vers la sortie de la maison. Traiter son fils différemment pour son handicape était à ses yeux inconcevable et ferait de lui un assister, ce qu’il refusait tout bonnement. Il espérait que son fils fasse de sa cécité un obstacle à surmonter, plutôt qu’une excuse pour devenir un assisté et un faible.

« - Hey, Timothy ! Ça fait un bail mon vieux, ça va ? Je cherche Guyderoy, tu saurais pas où il se cache ? interrogea Bart.
- Oh Goldenhair ! Qu’est-ce que tu fais là mon salaud ? répliqua le fameux Timothy en donnant des coups amicaux à l’épaule de Bart. Le Cap’tain il est pas bien du tout… Il est dans sa cabine, sur le BullShip ! Jennie prend soin de lui, tu devrais y aller, ça lui ferait plaisir de te voir. Peut pô en dire autant du « Kiddo », t’en veut toujours le gosse. »

Timothy était un membre des Bulldogs depuis moins de dix ans. Un pirate qui s’était toujours fait plutôt petit et qui semblait en avoir bavé dans la vie. Il avait une drôle de démarche et était surnommé « le bossu » pour son dos difforme.

« - En effet, Timothy… reprit une voix que Bart connaissait très bien. Le Kiddo lui en veut toujours. Bonjour, Bart…
- Tu ne me surnommes plus Goldenhair, maintenant ? répondit Bart, le regard tout de suite plus sérieux, plus attentif.
- Pas de surnom pour les traitres, répliqua-t-il en attrapant la hache attachée à sa ceinture.
- Alors ce n’est pas la peine de t’appeler Kiddo à mon tour, j’imagine ? reprit Bart.
- La Marine n’est pas la bienvenue sur cette île, Bart. Tu n’aurais jamais dû revenir ici, » conclut-il avant d’immédiatement se ruer sur le marine en donnant un grand coup de hache circulaire devant lui.

Bartolomew eut le réflexe de dégainer sa lame de sa canne et de reculer de quelques pas.

- Timothy, part d’ici, s’il te plaît, s’exclama Bart en pointant le bout de sa lame vers Salazar, fils du Capitaine Guyderoy.

Kiddo semblait en rage. Il avait été son meilleur ami toute son enfance, et pourtant, il souhaitait aujourd’hui le voir mort. Salazar ne semblait pas partager l’idée de coexistence de Bart. Quel dommage. Il chargea de nouveau, mais Bartolomew se contentait semble-t-il d’esquiver le moindre de ses assauts.

- Shikomizue… Repousse, chuchota-t-il d’un ton monotone alors qu’il frappait le vent de sa lame.

Immédiatement, des cercles verts se dessinèrent en l’air, presque invisibles, semblant essayer de repousser Salazar. L’histoire de quelques secondes et ce dernier s’envolait quelques petits mètres plus loin, fesses contre terre. Frottant son front du revers de sa main, Salazar se releva, le souffle coupé. Ramassant sa hache, il garda un faciès colérique, les yeux rivés sur Bart.

- Tu n’avais pas le droit, nous allions conquérir South Blue ensemble. Tu étais sensé être des nôtres, pas nous combattre. Tu craches sur tous nos souvenirs et nos frères partis en étant le chien du Gouvernement Mondial.

Fermant les yeux, Bartolomew posa le bout de sa canne droit au sol, rentrant sa lame doucement à l’intérieur. Alors que la lame disparaissait dans son fourreau et que Bart gardait ses yeux fermés, Salazar se mit à flotter. D’abord à quelques dizaines de centimètres du sol, puis, lentement, à quelques mètres. Et alors que le pommeau de sa canne-épée prenait contact avec son fourreau dans un « clic » très perceptible, Salazar fut ramené violemment au sol, creusant un trou sous son poids et celui de la gravité.

- Shikomizue… Ecrase, reprit-il alors qu’il continuait d’écraser son ancien meilleur ami sous l’intensité de la gravité. Salazar… Tu ne fais pas le poids, arrête de lutter. Je ne veux pas te faire de mal, mais si tu m’y obliges…

Mais Salazar continuait de lutter, essayant en vain de se lever malgré la pression qu’exerçait la gravité sur lui.

- Il faut toujours trouver la faiblesse de son adversaire, au lieu de se ruer sur lui bêtement, retiens ça la prochaine fois que tu viendras m’attaquer, conclut Bartolomew avant de donner un fort coup de pied à la tempe de son ami et rival de l’époque. Désolé… Kiddo.

Une cigarette coincée entre ses lèvres, les pieds enfouies dans le sable, Bartolomew observait l’horizon, assis au beau milieu d’une plage du Royaume de Briss. Il profitait du peu de temps qu’il lui restait à passer sur cette île avant que les Bulldogs ne trouvent le fils de leur capitaine, inconscient et menotté à un arbre.

- J’aurai aimé pouvoir rester plus longtemps… Voir tout le monde… murmurait Bart, regrettant que les choses se soient passées ainsi. Tu fais chier… Salazar…

Par la faute de Salazar, il n’avait pas été voir sa sœur, sa mère ou encore Guyderoy. Il n’allait pas non plus pouvoir passer plus de temps avec son fils, car à la seconde ou son rival se réveillerait, il donnerait l’ordre de le chasser. Ça, il n’en doutait pas. Il le connaissait trop pour cela. Et alors qu’il s’apprêtait à se relever pour se rediriger vers le bateau de commerce qui l’avait emmené, il entendit derrière lui quelqu’un tousser.

« - Qui te dit que tu ne peux pas rester plus longtemps, hein ? lui dit une voix qu’il reconnut malgré la toux l’embrumant. C’est encore moi, le chef, tu sais ?
- … Guyderoy ! répliqua-t-il immédiatement en se relevant d’un bond, se dépêchant d’aller prendre le vieil homme dans ses bras. J’ai entendu dire que t’étais pas bien ! Que ça m’fait plaisir de te voir, vieil homme !
- Hoho ! Un bonheur de t’entendre dire ça ! répondit Guyderoy en plaçant ses deux mains sur les épaules de celui qu’il voyait comme un fils. Je t’ai d’abord cherché sur cet arbre où tu avais l’habitude d’aller, mais tu n’y étais pas. Mais en tout cas, tu observes toujours l’horizon dans la même direction…
- Les habitudes ont la vie dure, ria-t-il doucement. Salazar s’est réveillé ?
- Oh oui… Il a donné l’ordre à tout le monde de te trouver et de te ramener à lui, mais j’ai vite fait d’annuler son ordre… Ce petit se pense déjà chef…
- Bart ! Guyderoy ! l’interrompit une nouvelle voix.
- Jennie ! s’étonna le grand-frère qu’il était. C’est fou ce que deux ans t’ont fait ! Tu es…
- Une femme ? répliqua-t-elle instantanément.
- Oui… Voilà… pesta Bart, qui avait toujours détesté qu’elle finisse ses phrases à sa place.
- Eh bien… Je me doutais que ta sœur ne me laisserait pas me promener tout seul longtemps, ria le vieux Guyderoy, dont la barbe était aujourd’hui plus grise que noire. Vient donc avec nous, on dîne tous ensemble ce soir. Je me porte garant de Salazar, ne t’en fais pas.
- … Très bien, p’tit vieux, » conclut Bartolomew.

Prenant à son tour sa sœur dans ses bras, il retourna en leur compagnie en direction des autres pirates, probablement là où se trouvait sa mère. Elle était la dernière qu’il n’avait pas revue. Il imaginait son visage, toujours radieux. Repensant à cette vieille dispute qu’il avait provoqué entre elle et son père, il ria intérieurement, nostalgique. S’il avait obéi à sa mère, il n’aurait jamais mangé ce fruit du démon, et sa vie serait certainement totalement différente. Mieux, pas sûre non plus. Ils finirent par arriver sur un lieu qui lui rappelait l’endroit où tous mangeaient ensemble, mais l’endroit avait tant changé. À la place d’une table en plein air, il trouva une grande auberge dont le nom était « Les Recettes de Bart ». Un nom qui lui dessina très facilement un sincère sourire sur son visage. Il s’arrêta devant la porte, alors que sa sœur et Guyderoy continuaient d’avancer, ouvrant bientôt la porte.

- Maman… Tu as finie par ouvrir ton auberge…

Lorsque la porte s’ouvrit, le bruit ambiant de l’intérieur s’empressa d’arriver jusqu’à ses oreilles. Le mélange de toutes ces voix, cela l’avait bercé depuis toujours. Son père était là, près de l’entrée, accueillant Guyderoy en hurlant de joie. Tous les Pirates Bulldogs étaient là, dansant, chantant et buvant en attendant la bouffe. Salazar était là, dans un coin, à boire sa chope en le dévisageant… Et avant qu’il ne s’en rende compte, il se retrouva juste en face d’elle, de l’autre côté du bar qui séparait cuisine de salon… Des larmes de joie s’échappèrent, chaudes et rapides. Son cœur s’accéléra. La personne qui lui avait le plus manqué, juste en face de lui.

- Maman…