Comment est votre risotto ? [solo]

Bienvenue à Ishiro, ses stations balnéaires, son charme bucolique et ses tournois sanguinaires d’artistes martiaux se battant jusqu’à la mort. Suites à ses mésaventures, Jack avait posé le pied sur l’île en pleine soirée, faisant tendrement écho à ses débuts sur Grand Line, à l’époque où il était parti à la poursuite de son maître en mentor, en quête de réponses sur sa mort. Autant dire qu’il n’avait jamais trouvé une trace exploitable du passage de Maxwell en ces lieux, sinon qu’Ishiro serait une des pièces du puzzle du karaté aérien. Le passage obligatoire des maîtres, l’endroit où chacun des Aéristes – nom donné aux arpenteurs de la voie du karaté aérien – venait mettre à l’épreuve ses capacités.

Jack ne s’en était pas senti à la hauteur, trois ans plus tôt. Mais aujourd’hui … bien des choses s’étaient passées. Il avait laissé Hana entre les mains des Underclass, il avait traversé le monde des miroirs et s’était confronté à des êtres d’une puissance incroyable et il avait perçu cet appel. Ce frisson dans le dos, ce désir d’aller encore plus loin. De relever des défis, de s’affranchir de ses limites et de se hisser en haut de cette chaîne alimentaire qu’était le monde. L’agent avait goûté à la liberté que lui octroyait le neuvième bureau et s’était demandé comment il avait pu vivre jusque-là. Bureau légendaire parmi les légendes, il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre que feu Maxwell, son mentor, en avait été un membre émérite. Les hommes qui n’existaient nulle part avaient toujours un lien étroit avec les légendes.

« Agent Sinister, monsieur, nous resterons à quai jusqu’à ce que votre mission ait été menée à bien. Si vous n’y voyez pas d’objection, mes hommes et moi dormirons à l’auberge de la Cruche Percée, non loin des temples Kaien. »

Le Cipher sursauta. Il était tant perdu dans ses pensées qu'il n'avait pas vu les marins venir à lui. Marone était un homme qui avait fait le trajet jusqu'ici pour lui. Il avait retapé un navire pour les seuls besoins de la mission principale de Jack, et avait répondu présent lorsque celui-ci avait sonné le début des hostilités. Venir à Ishiro était la première réelle mission des nouvelles attributions de Jack, après tout.

« Pas de soucis, McKylian, procédure habituelle. » trancha Jack, avant d’adresser un signe de tête à son nouveau convoyeur.

L'agent avait été dépêché ici par le biais de ses supérieurs, mais c'était un point de raccord et de rendez-vous qui promettrait de nombreuses choses. Le navire, sobrement nommé Sinister Act, attendait au port. Mac avait certainement dans l'idée de lui montrer, mais Jack avait d'autres priorités. Il soupira. Il prendrait le temps de s'entretenir avec Marone plus tard, de détailler son projet et ... peut-être de contacter une recrue potentielle de plus.

« Ici, je suis Jack, simplement Jack. Pas d’agent, pas de monsieur. Je suis un écrivain qui est venu écrire un livre sur le tournoi et les diverses factions martiales d’Ishiro. Alors faites-moi plaisir, Mac. » continua-t-il, avant de tendre la main vers lui.

Le convoyeur regarda la main de l’agent, hésita avant de la serrer. Jack lui offrit un sourire immaculé, avant de le remercier d’un signe de tête. Il tourna les talons et perdit aussi tôt son sourire forcé. Il s’empara de son sac, le hissa sur son dos et attrapa le second. Il s’éloigna, cherchant solutions à ses problèmes. Il était sur Ishiro, maintenant. Il se devait d’enquêter sur sa mission, mais les affiches du tournoi à venir trônaient partout, attirant son intérêt à tous niveaux. Il soupira à chaque fois que son regard croisa une de ces affiches. C’était une attraction phare et un véritable défi pour quelqu’un de sa trempe. Une occasion de tester ses apprentissages, de découvrir jusqu’où il pouvait aller. Et à quel rang il estimait se situer chez les aéristes.

Jack finit par arriver à ses quartiers, l’auberge du Puits pendu – ce qui n’avait aucun sens – était un coin dans lequel de nombreux touristes amateurs de sensations fortes faisaient arrêt. Un coin où on pouvait jouer aux cartes, voir des combats de boxe dans le sous-sol et aller se détendre dans les sources chaudes dans la même soirée. L’établissement proposait tout genre de menus, et Jack avait tendance à aimer se terrer là-bas, quand il passait sur Ishiro. C’était un endroit où on pouvait croiser une clientèle très hétéroclite et qui n’aiderait pas à le catégoriser. Il aurait la paix, il pourrait préparer ses propres plans …

Il arriva devant l’établissement, d’où s’échappait une agréable odeur de nourriture épicée. Il y avait de l’activité, des rires et des chants. Un sourire réel naquit sur les traits de l’agent lorsqu’il poussa les battants de la bâtisse. Nul ne se retourna sur son passage, tous occupés à leurs propres affaires. Cela sentait le tabac, la sueur et la nourriture. De quoi faire sourire n’importe quel agent du cipher. Jack se présenta devant l’aubergiste, lui adressa un signe de la tête. Tout avait été prévu, tout avait été planifié.

« Comment est votre risotto ? » lança Jack.

« Le risotto est bon. » répondit le tavernier, lui faisant signe de se diriger vers l’escalier.

Un homme attendait dans le noir, son visage illuminé par la fumée qui saillait de son cigare. Le rouge de la fraise se reflétait dans ses pupilles, lui donnant un air intriguant. Jack ouvrit la porte, jetant un rai de lumière dans la pièce. Il perçut en premier l’odeur piquante du tabac, puis vit la forme assise qui attendait patiemment son arrivée. Il était devant la fenêtre, la lumière de la cité dévoilant ses mains couturées et son costume impeccable. Un costume d’agent, un costume de Pol. Sans se laisser impressionner, Jack avança dans la pièce, posa son fatras. Il tira une cigarette de son paquet, initia son zippo et s’assit face à l’intrus.

« Comment est votre risotto ? » fit Jack, avant de tirer une taffe.

« Le risotto est bon. » répondit l’inconnu avec un accent rauque, tout en s’avançant dans la lumière.

Il avait la peau d’ébène et un regard aussi noir que les enfers. Il portait un haut de forme qui ne faisait qu’allonger son inquiétante allure. Il y avait aussi cette barbe drue qu’il portait en collier, qui tombait sur ses bijoux en or, et ses multiples crânes qui se glissaient dans le col de sa chemise fushia. Il portait une veste de costume dont les bords étaient faits de fourrure, et arboraient de nombreuses bagues à ses doigts. Nul doute, Jack était en face du célèbre Papa Dinamite.

Les deux hommes se jaugèrent quelques secondes, avant qu’un éclat de rire ne commence à émerger. Doux, il commença à gagner en intensité, à mesure qu’ils se dévisageaient. Le rire se transforma en hystérie et les deux se tapèrent sur la cuisse bien avant de s’arrêter. Ils secouèrent la tête, en se remémorant le bon vieux temps.

« Ah, Jack. Ça faisait un bail. » fit Papa en lui serrant la main.

Ils s’attrapèrent l’avant-bras, se tinrent proche et touchèrent leurs épaules. Dinamite avait été un des agents que Jack avait rencontré sur Ishiro quelques trois ans plus tôt. Ils avaient été un court temps dans le même pol sur les blues, avant que leurs évolutions respectives ne les envoient sur d’autres horizons. Evidemment, Jack avait continué à gravir les échelons et avait rejoint le neuvième bureau depuis quelques mois.

« Ah, Dinamite. » répondit-il, en secouant la tête.

« L’affaire est grave, Sinister, je le crains. » reprit Papa, d’un ton grave qui mit aussi tôt fin à la jovialité de leurs retrouvailles.

C’était toujours ainsi avec Parala, il était professionnel, carré et rien ne dépassait. Certes, il était un peu explosif dans ses méthodes, mais ça partait toujours d’un sentiment très professionnel. Peut-être avait-il développé ce besoin d’aller à l’essentiel au milieu de ses trente-deux sœurs quand il était gosse. Il était rare qu’il ait le fin mot de l’histoire avec elles. Et Jack se disait ceci sans jamais en avoir rencontré une, mais il imaginait bien, en bon combattant de la cause égalitaire, que trente-deux femmes devaient avoir cet effet.

« Un des agents du CP 7 a disparu il y a quelques semaines à Ishiro, alors qu’il enquêtait sur une affaire de corruption du comité officiel des tournois. Il s’appelait Uber Dubâton, mais je ne crois pas que tu aies déjà eu affaire à lui. C’était un nouveau, raison pour laquelle on m’a d’abord envoyé ici … » commença à expliquer Papa.

Jack n’avait eu aucun briefing avant qu’il n’arrive sur les lieux. Il se doutait que ça avait un lien avec une affaire sensible, mais en bon agent il n’avait pas creusé plus loin. Si ses supérieurs pensaient qu’il allait être plus utile sur ce genre d’enquête, il n’avait qu’à obéir. Mais il commençait à comprendre pourquoi on l’avait ramené lui ici. Il était un peu connu en public par rapport à ses enquêtes et ses bouquins, ce qui lui donnait une aura presque officielle de fouine. S’ajoutait à cela qu’il était un aériste, ce qui lui donnait quelques avantages sur Ishiro, dans un endroit où les gens ne respectaient que les arts martiaux originaux. Jack opina du chef aux déclarations de Papa, attendant la suite.

« … mais, malheureusement, j’ai fini par retrouver le cadavre du pauvre Uber. » continua Dinamite, posant sur la table une photo un peu terne.

L’agent blond s’empara de l’image, la fit glisser dans la lumière. Ils n’avaient toujours pas allumé les lampes, ce qui gâchait un peu l’effet. Jack se leva donc et s’en alla actionner les lampes, avant de revenir s’asseoir. Peut-être y verrait-il un peu plus clair ainsi … La photo représentait le cadavre d’un homme dont la moitié du corps avait été soufflée par un coup extrêmement violent. Le mort avait été séparé en deux, net. Son visage présentait les sévices de la torture, et ses bras de multiples fractures. Papa lui fit suivre une autre photo, certainement l’autre partie du corps. Il regarda les deux photos côte à côte.

« Les deux parties ont été retrouvée à plus de cent mètres l’une de l’autre. Uber présente les sévices de la torture, mais nos légistes ont déterminé qu’il avait été tué par un coup unique, qui avait projeté la moitié inférieure de son corps très loin. Qui que ce soit … il est suffisamment fort pour tuer un des nôtres. » poursuivit Papa, en soupirant.

Le silence s’installa entre eux, Jack analysant les deux photos. Si un homme était assez fort pour s’en prendre directement aux agents du pol, cela expliquait pourquoi on l’y avait envoyé. Un agent du CP9 était tout à fait indiqué pour s’occuper du cas de tueur de ciphers.

« Mais … ? » demanda Jack, présentant que tout ça allait bien plus loin que le simple meurtre d'un agent peu expérimenté.

« Mais … Uber n’a été que le premier d’une longue série. »

La liste était longue, remontait de larges efforts d’Uber pour faire des liens que Jack n’aurait pu faire seul. Il parcourut les fichiers, remonta les informations et les diverses prises de vue. Le cipher se gratta la tête, observant les modus operandi. Il y avait des hommes d’une puissance écrasante en ce monde, mais ce qu’il voyait là était une longue liste de ciphers, apparemment prise au hasard. Des cadavres sectionnés, et torturés. Beaucoup de jeunes recrues, beaucoup d’agents peu expérimentés. Il connaissait quelques gars capables de faire bien pire, mais c’était étrange de voir autant de similitudes entre les corps.

« Comment as-tu trouvé autant de preuves, Papa ? » fit Jack, une nuance de soupçon dans sa voix.

La paranoïa était le métier premier d’un cipher.

« C’est un dossier sur lequel je travaille depuis longtemps. Seulement, je n’ai pas les mains aussi libres que toi, Jack. » trancha-t-il, étalant quelques photos de plus.

Pas les mains aussi libres. Pas le permis de tuer, en somme. Que Dinamite en soit arrivé là … c’était mauvais signe. C’était qu’il avait des infos solides, qu’il espérait le trouver et l’emporter sur cet étrange énergumène.

« C’était qui ? »

Le Cipher chassa la question de Jack d’un signe de la main. L’agent posa lentement les siennes sur la table, riva son regard océan sur con collègue. Un tic nerveux agita la bouche de Papa. Il accrocha les yeux de Jack.

« C’était qui ? » répéta ce dernier.

« Pas tes affaires, Jack. » grogna Parala, sans se démonter.

« Dans ce cas … »

Le Cipher se redressa et se leva, tournant les talons. Il se dirigea vers la porte, prenant bien soin de marcher lentement. Il soupira lorsqu’un geste de Papa l’arrêta.

« Talia, ma coéquipière, remontait la piste. J’ai merdé. J’ai survécu. Pas elle. » trancha-t-il, en serrant le poing.

Jack opina du chef et se retourna. Il croisa les bras, Papa riva ses yeux noirs sur lui.

« Si j’ai fait appel à toi Jack, c’est que je sais que tu feras ce qui doit être fait. Pas de miséricorde, pas de sentiments. Tu m’en dois une, et tu honoreras ta dette. Ça a beaucoup parlé de toi, depuis le Christmas Mirror Tour. » grommela-t-il, en tapotant la table de son index.

« Le chef Marco ? »

« Marco de ? »

« De rien, de rien … »

Papa éluda la question.

« Jack. Je sais qui est le tueur. J’ai besoin que tu lui fasses payer. »

Le cipher s’alluma une nouvelle cigarette, tandis que Papa sortait une bouteille de sous la table.

Il tira deux verres d’une cachette dans la pièce. Il les remplit de liquide, à ras bord. Il en fit glisser un vers Jack, leva le sien.

« Je veux que tu tues Josh Leone. Il est ici, à Ishiro, et il participe au tournoi. Je t’y ai inscrit, tout ce que tu as à faire est d’arriver en finale et de l’éliminer. »

« Josh Leone, hein ? » reprit Jack, avant de lever son verre à son tour.

Les deux hommes trinquèrent, burent et retournèrent leur verre sur la table.

« Je signe où ? »