Chapitre 2
Bondissant d'arbres en arbres à plus de cinq de mètres du sol, un jeune homme au corps nu et athlétique fendait la jungle tel un majestueux prédateur alpha, poussant un cri de domination absolu sur son territoire...
" HAAAAAAAAAA!!!!!! "… ou pas.
Les larmes aux yeux et complètement paniqué, Aaron – anciennement SE03- fuyait le réel prédateur alpha de l'île : Une nuée de milliers d'insectes étranges, semblables à de grosses mante-religieuses à têtes de chat d'environ 15cm mais fonctionnant en colonie comme des abeilles et munies d'un caractère de cochon ! Les Kashck-kschaks !
Passant en trombe au travers d'une meute de loups avec des serpents en guise de queue, le jeune sauvage profita de la surprise de ces derniers pour tenter de ralentir ses tenaces poursuivants.
Malheureusement, cela ne leur fit qu'un en-cas et les ralentit tout au plus durant une dizaine de secondes, qui ne permirent à Aaron que de gagner une trentaine de mètres.
Aaron sourit. Bien que cela puisse sembler peu, c'était tout ce dont il avait besoin pour se mettre à l'abri !
Continuant son sprint jusqu'à un petit lac situé en bord de falaise, il plongea sans même s'arrêter et s'enfonça dans les profondeurs des eaux calmes et sombres.
Ha ! Encore une fois son propre génie l'étonnait lui-même ! Et ces idiots d'insectes ne l'auraient pas non plus aujourd'hui !
Enfin... pas si idiots que ça il fallait bien l'avouer... après tout ils produisaient ce délicieux liquide doré et sucré dont Aaron avait toutes les peines du monde à se passer plus d'une semaine, ce qui le conduisait inévitablement à tenter de leur en voler régulièrement avec plus ou moins de succès.
Depuis le fond du lac, il chercha un moment dans la vase avant de finalement trouver ce qu'il désirait : une ouverture !
Cette dernière continuait en un long tunnel se dirigeant vers la falaise avant de remonter, pour enfin déboucher dans une grotte dont le jeune homme avait fait sa maison depuis qu'il vivait seul, bien des années plus tôt.
Aaron s'écroula sur sa couchette, faite en feuille de palmiers et peaux d'animaux divers, essoufflé et satisfait à la fois de sa nouvelle victoire écrasante !
Son regard passa subrepticement sur un bout de tissu bleu accroché à une paroi de la caverne, le faisant sourire avec nostalgie en repensant à sa première année ici, et qui à présent étaient aussi ses premiers souvenirs car ayant oublié tout ce qui était antérieur à son arrivée.
La manière dont le gros bonhomme avait pris soin de ses blessures durant plusieurs jours, avec l'assistance de la jeune fille en bleu, avait été une nouvelle expérience des plus étranges : pourquoi agissaient-t'ils comme cela ?
Il se faisait presque assommer lorsqu'il tentait de s'enfuir, mais tant qu'il restait là ils prenaient soin de lui... c'était extrêmement déstabilisant.
Il eut beau tout tenter pour bien leur faire comprendre que la femme en blanc avec eux était dangereuse, ils ne comprenaient rien ! Si ils s'en fichaient, tant pis pour eux ! Mais pourquoi l'obliger à rester là lui aussi ???
Après avoir guéri, il eut la permission de sortir – toujours accompagné- et découvrit ainsi un monde bien différent de l'enfer dans lequel il pensait être arrivé en premier lieu : une petite île avec en son centre un gros tas de terre fumant bizarre nommé « volcan » et entouré par ce que le groupe appelait une « jungle »...
Ce fut cela le plus compliqué, apprendre le sens des sons qui sortaient de leur bouches !
Il réussit avec le temps et quelques crises de nerfs à mémoriser une centaine de mots la première année, ce qui le rendit particulièrement fier de lui-même à cette époque. Ce fut une période de découvertes merveilleuses, autant grâce à ses étranges compagnons qu'aux secrets que dissimulait cette île. Cette dernière grouillait de créatures aux dents aussi nombreuses que tranchantes !
Leur première rencontre avec l'une d'elles se solda par la perte de l'homme aux yeux étranges, ayant confondu l'entrée de la gueule d'un énorme monstre avec celle d'une grotte naturelle... à sa défense, Aaron aussi n'avait pas fait la différence...
Et ce ne fut que le premier à se faire dévorer par l'île.
Moins de trois mois plus tard, ce fut au tour du gros bonhomme de se faire dévorer vivant par un arbre rose dont les fruits étaient de gros cubes noirs, délicieux par ailleurs, qui fondaient dans la bouche mais dont les branches et les racines se nourrissaient du sang des animaux qui passaient à proximité.
Six mois après vit le départ du Dr Lucilis qui disparut sans dire un mot, sûrement dévorée moins de vingt minutes après, en tout cas Aaron l'espérait.
Ce qui le laissa seul avec la jeune fille en rose à la voix incroyablement grave nommée Herakleus. Vivre avec elle se révéla éreintant, toujours à lui crier dessus pour rien et à le frapper lorsqu'il ne comprenait pas assez vite ce qu'elle désirait. Heureusement, ses désirs se limitaient souvent à deux choses : trouver de la nourriture et maintenir le feu. Tout n'était pas horrible néanmoins, car elle lui donna son nom « Aaron Galante » et le protégea des gros prédateurs.
Cela dura presque un an, lui permettant d'apprendre une centaine de mots supplémentaire, avant de rencontrer ce qui serait le croquemitaine de ses cauchemars...
Les Kashck-kschaks ! Bien entendu, c'est Aaron lui-même qui les avait baptisé ainsi à cause du son produit lorsqu'ils se battaient entre eux avec les faux tranchantes qui leur servaient de bras.
Herakleus fit les frais de leur ignorance, se faisant dévorer en quelques secondes toute entière : os et dents compris.
Après ça, Aaron leur échappa de justesse à maintes reprises durant les années qui suivirent jusqu'à finalement trouver par hasard la grotte cachée dans laquelle il se trouvait aujourd'hui.
Les premiers temps de solitude furent très difficiles, mais grâce à sa connaissance du feu et énormément de chance il réussit à survivre et à se renforcer.
Petit à petit il apprit à déjouer les pièges de la jungle et à chasser chaque animal présent, souvent au prix de graves blessures qui le conduisirent plus d'une fois aux frontières de la mort. De nos jours, seuls les Kashck-kschaks restaient encore invaincus, les apex prédateurs de l'île.
A présent reposé de sa fuite, Aaron décida de ressortir. Les Kashck-kschaks avaient dû partir des abords du lac entre-temps, et le soleil arrivant à son zénith il était bientôt l'heure pour les vers-de-roche de chasser au pied du volcan.
Ces grands vers d'environ trois mètres de long pour quarante centimètres de larges dormaient sous la terre au plus haut du volcan et au plus chaud de la journée descendaient plus bas pour trouver des proies à chasser. Généralement par deux ou trois, ils étaient vifs et féroces mais possédaient un énorme point faible: ils réagissaient au miel des Kashck-kschaks comme des junkies affamés faces à un gâteau au chocolat saupoudré de cocaïne.
Aaron replongea dans l'étendue d'eau de sa caverne, retraversa le tunnel inondé et ressortit au milieu du lac à l'extérieur en prenant grand soin de vérifier si ses ennemis jurés étaient bien repartis.
Satisfait, il sortit de l'eau et se dirigea rapidement vers son coin de chasse à vers-de-roche.
Pourquoi se donner tant de mal pour de simples vers sous stéroïdes demanderez-vous ? Tout simplement car ils étaient incroyablement délicieux et croustillant ! Sans compter que deux cœurs de vers frappés l'un contre l'autre permettaient de créer de petites flammes, ce qui étaient nettement plus facile qu'avec de simples bout de bois... vous avez déjà essayé de faire du feu avec du bois au milieu d'une jungle tropicale avec 80% d'humidité minimum dans l'air toute l'année ?!?
Sur le chemin, Aaron croisa plusieurs animaux qui soit fuirent à sa vue, soit restèrent là sans bouger : habituée à sa présence, la faune locale avait appris à accepter sa présence comme un des leur. Il n'avait plus vraiment de prédateur naturel hormis ces fichus insectes.
Difficile à croire lorsque l'on savait quels types de farouches créatures existaient : des oiseaux aux ailes métalliques coupantes comme des rasoirs, des écureuils jaunes électriques au vocabulaire limité, des serpents à plusieurs têtes crachant un nuage de poison, des chauve-souris qui brillaient à la lumière du jour... et bien d'autres tout aussi terrifiantes !
Un humain normal, encore moins un enfant, n'était pas un adversaire à la hauteur contre ce type de prédateurs.
Mais c'est là que la particularité d'Aaron permit de rétablir l'équilibre.
Arrivé à sa destination, il déposa la feuille de palmier pliée en quatre sur une grande roche plate et dure avant de l'ouvrir et disparaître à toute vitesse dans les hauteurs de l'arbre le plus proche à seulement cinq mètres de là.
Alors que le miel doré commença à couler sur le rocher, un léger tremblement se fit ressentir...
Aaron se fit aussi silencieux et immobile que possible, l'adrénaline commençant à monter en lui...
Le tremblement augmenta d'un cran...
La pilosité d'Aaron se fit de plus en plus présente alors que ses pupilles changeaient de formes, prenant une forme ovale...
A présent les petits cailloux de toute la zone se mirent à sursauter comme sur une poêle à frire...
Des griffes acérées remplacèrent ses ongles, sa peau se recouvrit d'une épaisse fourrure ambre alors que sa taille et sa masse augmentaient au point de faire craquer dangereusement la branche sur laquelle il se trouvait...
C'est alors que trois vers explosèrent littéralement du sol ! Se ruant avec furie sur le précieux liquide, au point de se pousser mutuellement, ils frémissaient littéralement d'extase en se contorsionnant dans tous les sens.
Grand bien leur fasse. Tout condamné avait droit à un dernier repas, Herakleus lui avait sombrement expliqué un jour.
Sautant directement de sa branche jusque sur la tête des vers, Aaron en coupa un dans le sens de la longueur à peine touché le sol avec ses griffes, avant d'en sectionner un autre avec sa gueule remplie de crocs meurtrier... il s'était métamorphosé en lion !
Et bien qu'Aaron lui-même l'ignorait, pas n'importe quel lion : ridiculement grand pour un félidé, le pelage ambre et la crinière dorée, les griffes et les crocs noirs luisants d'un éclat métallique, les yeux bleus et vert de sa forme humaine à présent parsemés de paillettes cuivrées et une queue se terminant par un massif pinceau de poils noirs et ambres.
Le dernier ver ne prêta même pas attention à la fin aussi tragique que fulgurante de ses deux compagnons, et cette erreur lui valu un coup de griffe nonchalant le découpant en quatre morceaux distincts.
« Idiot. » remarqua simplement Aaron d'un air médusé, il était rare de voir un ver ne pas aider les membres de son groupe, miel ou pas miel.
Reprenant sa forme humaine lentement, le jeune homme ressentit une rapide vague d'un sentiment qui semblait devenir récurrent ces derniers mois dans son cœur : l'ennui.
Il regrettait la présence d'Hérakleus et du gros bonhomme dont il ne sut jamais le nom... et même l'homme bizarre aux yeux dérangeants...
…
… Non. En fait il s'en fichait de celui-là.
Même la présence de Lucilis aurait pu être appréciable maintenant qu'il était devenu assez fort pour se défendre. Et bien qu'une partie de lui n'avait cessé de la chercher dans tous les recoins de l'île, il ne la retrouva jamais.
Assaisonnant un tronçon de ver avec du miel, il croqua dans la chair délicieuse avant de ranger les cœurs dans la feuille de palmier et partit en direction de la plage la plus proche.
Les yeux fixés sur l'horizon, il se demanda un instant si sa vie entière allait se résumer à chasser toujours les mêmes créatures et fuir les Kashck-kschaks...