Arrivée à bon port

La sensation de voler était une nouvelle perception sans pareil. Si autrefois l'embarcation sur les flots avait transporté une jeune Coco très terre à terre d'une manière qu'elle n'aurait jamais soupçonné d'admirer, aujourd'hui dans cette montgolfière, elle se sentait plus vulnérable qu'à n'importe quel endroit du monde -du moins de West Blue ou de quelques îles de Grand Line-. Bordel mais qui était l'abruti sans nom qui a inventé ces moyens de transport à la con ! Décidément les moyens de Davinxi n'étaient pas appréciés à leur juste valeur auprès de Calamity qui était recroquevillée, assise, dans un coin de l'engin pour s'empêcher de regarder la mer d'aussi haut. Une tare qu'elle venait tout juste de se découvrir, un vertige à grande échelle puisque du haut de ses cinq mètres en forme animale elle ne s'était jamais sentie aussi mal. Agrippée à sa seule valise emportée, la blondinette fermait les yeux et soufflait tant qu'elle pouvait pour ne pas céder à la panique. Dans ce bagage aux allures des plus simples se trouvaient toutes ses économies récupérées aux quatre coins des îles de West Blue, mais également son assistante Ahppa réduite à l'état de veille. A la vue des tarifs de Davinxi -ces voleurs, disait-elle-, la civile n'avait pas du tout envie de payer pour une tête supplémentaire, 500 000 berrys étaient déjà beaucoup trop pour elle ! Mais il fallait bien passer le cap et quitter son confort d'origine pour de nouvelles contrées à dépouiller. C'était bien là la grande motivation de cette avare, ce qui l'avait poussée à partir, direction South Blue.

Les rumeurs semblaient avoir parcouru l’entièreté des Blues puisqu'à bord, car elle n'était pas seule, elle avait pu vaguement entendre que des "touristes" venant de North Blue avaient aussi décidé d'embarquer sur cette machine infernale. Pourtant, après un coup d’œil, Cal' avait flairé un semblant de piraterie. Il fallait bien avouer qu'elle en avait connu durant toute son enfance sur Banaro, elle savait en repérer. Probablement des pirates de pacotille, ridicules, sans bateau ni renommée, aucun intérêt à dérober. Dans le fond, elle ne savait pas s'ils étaient venus à la recherche de voyage pour les mêmes raisons qu'elle, mais le Den Den Déchaîné avait été clair : Une guerre pour un trône se préparait entre le gouvernement de Baterilla et la mafia sur les lieux. A première vue rien qui ne concernait la jeune médecin, mais qui disait guerre de pouvoir, disait forcément fortunes à se faire. Elle n'était pas de ces mercenaires, elle n'était qu'une petite voleuse qui cherchait de nouvelles cibles. Sa témérité était très certainement bien trop curieuse, c'était un voyage peut-être suicidaire, mais si excitant pour elle.

La terre ferme en approche, et enfin le pied sur un sol des plus revigorant pour la jeune femme. Elle en fut presque à s'y avachir pour embrasser le parquet. Mais l'heure n'était pas à l'attente, car la destination semblait apparemment encore loin. « Quoi ?! Comment ça je ne suis pas à Baterilla. » Une arriviste, voilà à quoi ressemblait Calamity Coco. « Non mademoiselle, vous vous doutez bien que les transports Davinxi sont utilisés par beaucoup de monde, et nous ne déposons pas toutes ces personnes à l'endroit exact où les clients veulent aller. » Le visage de la jeune femme commença doucement à rougir, non pas de nervosité, mais bien de colère sur ses deux petites joues qui se gonflèrent. « Moi c'est pas ici que je voulais atterrir ! » Et en plus de cela elle brayait comme un phoque géant, de quoi alerter d'autres personnes qui pourraient être intéressées par ce qu'elle revendiquait. Mais cette fois elle n'était pas en position de force, et l'employé la dévisagea avec un joli sourire au bord des lèvres. « Nous proposons un autre service, sur les eaux, avec une barque, qu'il vous faudra mener à la première île. Ca vous fera un paiement supplémentaire, mademoiselle. » Et le bougre tendit déjà la main maudite comme s'il savait déjà la réponse. Mais elle n'avait d'autre choix, alors elle fit difficilement glisser les pièces, la larme à l’œil. « Voleur... »


Calamity était loin d'une bonne capitaine, même sur ce morceau de bois qui avait plutôt l'air d'un canoë qu'autre chose, elle avait sorti et éveillé sa tendre Ahppa pour qu'elle fasse office de conductrice. Alors le pauvre robot ramait, et répétait sans cesse que cela ne rentrait aucunement dans ses fonctions d'assistante. Tandis que Cal' répondait à chaque fois qu'elle risquait un malaise.

Enfin, au loin, l'une comme l'autre aperçurent un bout de terre, la silhouette d'un grand édifice qui reflétait quelques rayons de soleil. Et ni l'une, ni l'autre n'avaient la moindre idée d'où elles allaient amarrer. A cette idée, Calamity s'empressa de sortir un sac à dos et d'y mettre toutes ses pièces, les comptant une à une. « J'espère que t'en as pas chopé une seule, sinon j'te jette à l'eau. »


« Fiou, enfin... C'était si looooooong ! » S'exclama l'humaine en étirant chacun de ses membres un par un. L'automate n'en dit rien, et se contenta de rejoindre sa vile patronne. Ce lieu était éclatant. Il était blanc comme neige, scintillant, immaculé, à vomir. Ça en donnait presque mal aux yeux toute cette clarté. Les grandes binocles teintées qu'elle avait cachées dans la petite pochette sur l'avant de sa valise se retrouvèrent aussitôt sur son nez fin, et déjà elle put y voir sans fermer de moitié ses paupières.

La jeune Coco avançait à pas de croisière dans les rues de ce nouveau pays. Elle avait pu lire par-ci par-là Saint-Urea sur des journaux locaux, et quelques enseignes. Probablement le nom de l'île, mais elle n'était sûre de rien. En revanche, ce qui lui sauta plus vite aux binettes fut l'amas de monde dans lequel elle venait de s'aventurer. Ahppa à ses trousses, tout juste derrière, les deux silhouettes se laissèrent emporter par la foule qui les traînait, les entraînait, tous écrasés les uns contre les autres, puis dans le flot sans effort, elles furent emmenées sur la rive droite de ce qui apparut à leurs yeux comme étant en face une allée centrale, vide. De plus en plus étrange. L'originaire de Banaro qui perdait de plus en plus patience, comme à son habitude, serrait les dents entre les petits coups de coudes, de pieds, et les bousculades des habitants qui eux, patientaient. Comme c'était agaçant d'assister à ça, au calme d'autrui.

Ding ding ding. « SHAME SHAME SHAME. »

Il ne manquait plus que ça. Ces tintements incessant de cloche qui ressemblaient davantage à des pincements pointilleux et précis dans le crâne de la blonde. « Bon, c'est par où la sortie ? Parce que tout ça pour des clochettes... » Tenta-t-elle assez fort pour se faire entendre lorsqu'une vieille mégère la pointa du doigt et de son regard macabre.  « Hérétique ! Au bûcher ! » Qu'est-ce qu'il lui arrivait à cette sorcière défraîchie ? Faudrait pas trop forcer sur les médicaments, il paraîtrait que ça ferait perdre la boule...

Ding ding ding. « SHAME SHAME SHAME. »

Mais sans attendre davantage de regards, Calamity embarqua du bras son assistante pour décamper et sortir du champ de vision de ces bargeots. Gauche ou droite, cela n'avait pas d'importance parce qu'elle bousculait les mystiques personnages qui les entouraient. « Attendez docteur, je détecte une personne atteinte d'une infection. Cet homme. » Elle n'allait tout de même pas recommencer avec ça... Le médecin s'était décrété en vacances ! Cependant la Coco tourna son regard sur l'objet de toutes les médisances. Un homme nu, dans ses simples vêtements de chair, et toutes ses parcelles de peau, même celles qui pendaient. Cette fois, elle aurait largement préféré être éblouie par la luminosité plutôt que de voir ce spectacle qui semblait tellement plaire aux natifs qu'ils se mirent même à balancer toutes sortes de projectiles. Bon sang, mais où avait-elle atterrit ? A bizut'land ?! C'était décidément une île de fous furieux !

Hors de question de rester ici plus longtemps et potentiellement être cible de la caillasse lancée. Dans la précipitation, la blondinette et son automate s'engagèrent dans une petite rue. Un soupir de soulagement s'échappa de Calamity jusqu'à ce qu'effectivement une pierre vienne à heurter malencontreusement l'arrière de son crâne. Un bon tir, seulement la mauvaise cible, celle qui commença à chuter. Pile à l'embranchement avec une autre rue perpendiculaire, ce qui, dans la chute de la blondinette, entraîna également celle d'une autre femme, une rouquine que Cal' tenta d'attraper en pensant être son robot pour ne pas tomber trop fort.

Une corne commençait à pousser derrière la tête de la Coco, et un Smilodon avec une corne c'était encore du jamais vu. Alors qu'elle se frottait vivement la tête elle se releva aussitôt en lâchant machinalement ce qu'elle avait tenu, qui n'était pas Ahppa. Cette dernière s'empressa alors de faire pression à l'endroit exact où le cailloux avait percuté sa patronne. « Il n'y a pas de plaie. » Un docteur examiné devait sûrement faire pâle figure, mais elle était au moins sûre qu'elle s'en sortirait avec une bosse et pas plus.

Calamity regarda enfin un peu plus attentivement devant elle ce qu'elle avait agrippé, ou plutôt qui. C'était une femme aux cheveux flamboyants, rien à voir avec l'apparence robotique d'Ahppa. Alors que la blondinette n'avait même pas une seconde pour se remettre calmement, elle fut bombardée de questions. Qu'est-ce qu'elle voulait celle-là avec ses interrogations indiscrètes ? D'ailleurs elle n'avait même pas le temps de répondre quoique ce soit que la rouquine fit à elle seule un véritable sketch. C'était quoi cette mauvaise blague théâtrale ? Cal' se contenta d'observer et de juger, comme elle savait le faire, c'est-à-dire avec tout le sarcasme qu'elle pouvait. Beh' elle devait avoir drôlement à se reprocher pour être si paranoïaque. Non pas que la pseudo-médecin pouvait se prétendre meilleure mais cette femme là avait atteint un certain seuil qui, selon la blonde, lui valait plus le fait de passer pour une idiote qu'autre chose.  Calamity du gouvernement ? Et puis quoi encore ? Et tout ça à cause d'une innocente petite feuille. C'était d'un ridicule !

Les deux spectatrices restèrent sans bouger, Ahppa toujours aussi stoïque et fidèle à son statut, quant à Calamity elle était davantage bouche bée, un sourcil haussé à se demander où allait mener toute cette mascarade. Hors de question de dépenser une seule pièce pour tout ce cirque, ça c'était certain. Puis à y regarder de plus près, quelle était cette petite chose étrange qui venait de parler. L'humaine avait d'abord songé à une peluche, puis à l'entendre s'exprimer elle songea à une marionnette de ventriloque, et puis finalement il s'avéra être un vivant à part entière. Mais lorsqu'elle se laissa surprendre par cette grande lance dégainée par la rouquine Cal' déchanta. Ce n'était peut-être pas de piètres artistes après tout. Sur le qui-vive, la jeune femme observa les deux interlocuteurs avant d'être interpellée par le gringalet. Elle garda le sourcil en hauteur sur son faciès et émis un petit son d'hésitation avant de répondre, complètement déconcertée : « Calamity. Et c'est Ahppa, mon assistante. Pas la moindre idée d'où se trouve le port mais ça m'arrangerait pour quitter cette île pas nette. » Le stricte minimum le temps qu'elle capte à son tour la présence de cette horrible petite chose qui venait de faire son apparition. Et elle ne pensait pas au Tontatta.

Décidément l'éducation de ce bambin n'avait pas été des plus optimales et lorsque la grande rousse lui frappa la tête le médecin ne bougea pas. Pas un doigt. Pas un cheveu. Cependant Ahppa s'avança et commença une analyse pour le soigner. « Ce petit humain va avoir une plus grosse bosse que vous docteur. » La Coco en fit presque de même, mais pour signifier de la main qu'elle ne ferait rien pour l'enfant qui venait de fuir. « Il l'a bien mérité, qu'il aille pleurer dans les jupes de sa mère. Eurk... Puis ces choses sont pleine de microbes, non merci, je suis en vacances n'oublie pas. » L'obéissance d'Ahppa était une perle, et sa méconnaissance du bien et du mal était une véritable bénédiction de sa créatrice.

Finalement la blonde détourna son regard sur la rouquine et entama d'une intonation assez amusée. « Eh bien, je crois que nous soyons toutes deux de vraies touristes, mais tu devrais te détendre un peu, je ne suis qu'une civile en voyage. » Enfin tout était relatif, bien sûr. Pas une réponse, pas un mot de sa semblable, ce fut cependant son animal de compagnie Archibèlde qui engagea la conversation. « Un médecin si j'ai bien compris. Enchanté ! » Mais l'originaire de Banaro continua d'observer l'autre humaine et ignora le petit être. « Affirmatif, mais le docteur Coco est en vacances, avez-vous besoin de nos services ? » Cette pauvre Ahppa qui se mêlait toujours de ce qui ne la regardait pas, il lui arriverait des bricoles un jour ! D'un regard foudroyant vers son accompagnatrice, Calamity lui fit comprendre de s'arrêter là.

L'interpellation qui suivit fit faire volte face à la jeune Coco. Elle n'allait tout de même pas être embarquée dans une affaire qui, pour une fois, elle n'avait pas provoquée ! Mais la rage des agents de la Marine qui leur foncèrent dessus et le souvenir de ses histoires de quelques semaines auparavant avec une certaine commandante sur West Blue l'obligea à y réfléchir une seconde fois : Rester là, mauvaise idée. Merde, merde merde [...] et merde ! La fautive s'était même carapatée plus vite qu'il n'eut fallu de temps pour le dire, la bougresse ! D'un geste, elle attrapa Ahppa sous son bras, cramponna la lanière de son sac-à-dos avec son autre main, et se mit à courir aussi, juste aux trousses de cette fameuse Tony à la lance facile. Dans cette rue longiligne, Calamity jeta un oeil par-dessus son épaule et écarquilla les yeux en voyant un semblant de quelque chose qu'elle n'avait même pas identifié être lancée. « Par là ! » Cria-t-elle sans même jauger sa force lorsqu'elle poussa la rousse vers la droite pour emprunter une nouvelle rue. « A nos agents postés sur la côtes, nous sommes en chasse de quatre individus qui se dirigent vers le port. »

Les mâchoires serrées, Calamity était en train de maudire sa nouvelle partenaire d'infortune qui l'avait entraînée dans ce scandale. Et puis pour le peu qu'elles se fassent attraper, elles allaient sûrement subir le même sort que le ver qui se trimbalait sur les rues pavées, lynché de tous les côtés. Son pessimisme légendaire réveilla pourtant ses instincts de survie, alors réalisant un court état des lieux elle s'exclama : « Prend à gauche, maintenant ! » Elle la suivit dans une impasse et cette fois, elle jura sur sa propre tête. Mais par un miracle sans nom, elle eut une idée. Eurêka, une benne à ordure se trouva là, assez proche de la gouttière de cette maison si propre qu'elle en aurait presque de la peine pour ce qui allait suivre. La blondinette monta sur le couvercle de la grosse poubelle et déposa Ahppa juste dessus. « Ne bouge pas et surtout tais-toi, je ne veux aucun commentaire. » Mais le robot demeura passif à tout, sans la moindre réaction. Sur ses appuis, la détentrice du Zoan du smilodon, misant sur son agilité, sauta pour venir attraper d'un bras le rebord du toit et s'y hissa d'un coup de pied qui lui servit d'élan. Elle aurait pu tous les laisser là, pourtant elle se retourna , attrapa d'abord Ahppa par le bras -elle restait une priorité contrairement à cette inconnue- avant de la faire monter à son tour sur les tuiles du toit. « Baisse-toi. » Si obéissante, merveilleux automate qui s'exécuta.

« Vous trois prenez à droite, nous allons à gauche ! » Les agents n'étaient pas loin, alors Calamity tendit une nouvelle fois son bras en direction de Tony et la regarda avec insistance.  « Allez grouille, j'ai pas envie de me faire attraper ! »

Les pas qui s'en allèrent plus loin signifièrent qu'ils étaient tous sortis d'affaire, mais pour combien de temps ? Lorsque la jeune Coco vit la rouquine sauter du toit, elle fit descendre d'abord son assistante avant de franchir le pas à son tour. Oui c'était moins une mais certainement pas la dernière des cavalcades si elles s'éternisaient ici. Calamity avait besoin plus que jamais de quitter les lieux, et apparemment sa nouvelle camarade également, alors pourquoi pas la suivre, il valait mieux deux cerveaux humains plutôt qu'un.

Sans un mot de plus, elle emboîta le pas de Tony et Archibèlde, restant tout de même proche de sa chère Ahppa. Alors que Calamity était à l'affût de toute halte pouvant les débusquer autant à droite qu'à gauche, le tontatta proposa un arrêt dans une échoppe. Ce n'était pas une mauvaise idée mais le déguisement était-il la meilleure manière de passer incognito sur cette île où tous était si... Banals. Pourtant la blonde ne fit pas la fine bouche et acquiesça. Tandis qu'elle laissa la rousse et son compagnon s'adresser à celle qui apparaissait comme la gérante de la boutique, Cal' s'empressa de jeter un œil à l'ensemble. Elle jeta son dévolu sur une nouvelle paire de lunettes de soleil qu'elle posa sur son nez. Plus à l'écart que le reste du groupe, elle prit un sac pour faire ses courses... La vile voleuse semblait de retour pour jouer de mauvais tours. Un touché et c'était payé ? Cette gamine ne savait pas à qui elle avait affaire. Alors qu'elle attrapa une longue cape noire à capuche, elle fit glisser un paquet de biscuits et trois pommes dans son sac. La Coco profita également que Tony et la vieille s'en aillent plus loin pour choisir deux canettes de soda et une bouteille d'eau. Enfin, et le plus important surtout, elle prit une carte touristique de l'île. Après tout, le voyage serait encore bien long, et elle ne voulait pas rester ici plus longtemps. Cependant l'air totalement serein et les sourires envoyés à l'employée encapuchonnée ne pouvaient absolument pas alerter les véritables intentions de la blondinette.

Vêtue de nouveaux cheveux noirs de jais et d'un grand chapeau de cowboy pour lequel elle avait eu un coup de cœur en bon souvenir de ses années à Banaro, elle fit enfiler à son assistante médicale ce qu'elle lui avait dérobé. « Eh bah.. Il te manque que la faux et on dirait la Mort en personne. » Ricanna-t-elle sans la moindre réaction faciale de sa partenaire. « Ok Ahppa, laisse tomber. » Elle inspira et expira un grand coup avant de s'approcher du miroir et d'à son tour se contempler. « Je ne sais pas si nous allons passer inaperçues mais ce qui est sûr c'est qu'on a de l'allure. » Déclara-t-elle avec beaucoup de sarcasme avant de se tourner vers la vieille dame et d'enfin commencer son cinéma. « Madame ? Vous allez bien ? Je vous trouve pâle. Je suis médecin, laissez-moi vous examiner. » Ladite patiente secoua ses mains fripées et insista sur le fait que tout allait bien mais cela n'empêcha pas la pseudo-médecin de s'avancer davantage pour... « Je vous assure qu'il serait préférable de vous asseoir, j'ai entendu certains bruits qui courraient sur une infection qui commençait à faire rage. » Elle n'avait décidément aucun scrupule, se servir de ce qu'Ahppa avait détecté bien plus tôt dans la journée, et qui plus est envers une femme d'âge on ne peut plus mûr. Elle la força presque à prendre place sur un siège exposé là, probablement à vendre. « C'est bien gentil mademoiselle, mais juste une minute alors. » L’appât était prêt, il était bien frais et irrésistible pour l'employée qui se dévoila finalement et rejoignit sa patronne, visiblement inquiète. D'un large sourire amical et d'un signe de tête, elle ordonna à Ahppa de faire une analyse générale tandis que la Coco s'écarta pour laisser le champ d'action. « Protocole d'analyse 616. Analyse en cours... » Calamity fit un signe de la main à Tony et son tontatta pour qu'ils reculent à leur tour et lorsque le moment vint, juste avant la fin de l'examen de la brave assistante, la blondinette, les sacs bien harponnés à son épaule et le chapeau justement placé sur sa tête, elle poussa violemment -peut-être un peu trop d'ailleurs- la jeune fille dans ses rayons et donna juste un petit coup de pied dans la chaise pour faire basculer la vielle dame. Aucun scrupule. Juste un monstre d'égoïsme et d'avarice.

« Protocole d'analyse 616 interrompu. » Sans blague ! Aussitôt fait, aussitôt elle avait embarqué de nouveau le robot sous son bras pour courir de plus belle. Elle entendait déjà les cris étouffés de la vielle femme qui hurlait au vol. « Allez ! Bougez ! » Le faciès carnassier et fier de cette entourloupe, Calamity décampa de plus belle, décidément c'était à chacune son tour de faire rapprocher un peu plus l'épée de Damoclès qui leur pendait au-dessus de la tête. Courir, toujours courir pour suffisamment échapper aux deux femmes de la boutique. Mais alors qu'elle suivait une même rue, Calamity ne trouva pas plus adéquate comme planque que la foule de plusieurs heures auparavant qui semblait revenir de leur étrange fête de village -du moins c'était ce que s'imaginait Calamity- et dans laquelle ils pourraient tous se dissimuler.

Toute fière et toute pimpante, la voleuse ignora complètement les regards accusateurs de sa consœur. Calamity avait simplement fait ce qu'elle aimait plus, une impulsivité qui la laissait paraître comme une monstruosité sans une once de respect. Mais que faire des aprioris d'une inconnue ! La blondinette vivait pour elle, et elle seule, et qu'importe ce que Jean-Paul ou Jean-Jardin pouvaient penser. Archibèlde semblait déjà moins gêné par cette facette. Après tout, le groupe avait bien d'autres chats à fouetter.

Rhees ? C'était qui encore ce Rhees ? Calamity n'avait pas signé pour ça, pas pour une énième personne, et surtout s'ils prenaient tous le même canot pour naviguer d'une île à une autre. Elle tiqua mais ne dit rien et attendit d'abord de se retrouver plus posément pour savoir comment réagir ensuite. Alors que les deux compagnons commencèrent presque à s'agiter, la brune occasionnelle  -déguisement oblige- se repencha sur la carte et s'adressa à sa gentille assistante. « Ahppa, par hasard, tu n'aurais pas un mode caché dans ton système pour lire avec exactitude cette carte ? J'comprends rien... » Le robot qui se pencha sur le bout de papier ne prit même pas la peine de faire quoique ce soit, elle rétorqua simplement à l'oreille de sa patronne. « Mes fonctions ne concernent que l'assistance aux... » « Médecins, oui je sais. » Grogna la civile en levant les yeux aux ciel. Qu'elle pouvait être agacée lorsque l'automate lui répétait les mêmes choses. Là était peut-être le plus grand inconvénient de l'intelligence artificielle, les mêmes banalités sortant de sa bouche. Elle devrait donc se débrouiller, puisque les deux autres étaient bien trop occuper à s'exalter pour... Pourquoi d'ailleurs ?

Calamity releva la tête dans la direction du grand chapeau sur la tête de Tony et, lorsqu'elle suivit le tracé de son regard, elle remarqua un visage. Ce n'était pas n'importe quel visage puisqu'il était surplombé d'une casquette qu'elle avait un peu trop croisée à son goût : la marine. Levant un sourcil jusqu'au sommet de son front, Cal' observa les deux hommes qui leur bloquèrent le passage et commença à taper du bout du pied par terre. Si la patience aurait dû être de mise, à cet instant elle était autant sur le point d'exploser que sa partenaire. Cependant Tony s'avéra plus rapide. Le bout de la lame plantée dans le bout de papier à quelques centimètres des doigts appartenant au représentant de la loi, la Coco avait vu ça comme un signale, au même titre que les deux agents. La blondinette fit reculer Ahppa en même temps qu'elle passa de trois pas en arrière pour laisser la rousse s'exprimer. Elle enleva même son sac de son dos pour le mettre sur celui en acier d'Ahppa. C'était une sabreuse, ou du moins une manipulatrice d'armes blanches. Il était intéressant pour la civile de rester observatrice, elle qui ne s'était que peu affrontée durant son parcours. Mais c'en était trop, il fallait qu'elle évacue tout l'agacement accumulé.

La jeune fille abaissa ses mains jusqu'à une trentaine de centimètres proches du sol. Tandis que les bouts de ses doigts commencèrent à se recouvrir de pelage et que ses ongles s'agrandirent tels de grosses griffes, son visage se décomposa, s'allongea pour finalement laisser la grande gueule de la bête et ses canines plus longues qu'Archibèlde. D'ailleurs, ce dernier qui était en train de s'agiter devant les agissements de son amie se mit à hurler d'une voix plus aiguë encore lorsqu'il se retourna. Lui qui voulait seulement demander à Calamity d'aller stopper la rousse dans sa lancée, il sembla en plein cauchemar quand il vit l'énorme matou lui passer au-dessus de la tête.

A présent élancé, le smilodon trotta pour rejoindre le deuxième agent qui allait s'en prendre à la combattante. Un pincement de ses crocs sur sa hanche droite, il recula en tenant la plaie qui venait de s'ouvrir. Un deuxième coup en plein milieu de son ventre. Et le dernier Calamity le loupa puisque le marine se retira de justesse s'en tirant avec la joue percée au lieu du crâne. En une fraction de seconde le sang avait coulé. Calamity ne plaisantait pas. « On se casse avant que la cavalerie plus sérieuse arrive. » Le smilodon se retourna d'un coup de pattes tandis que la sabreuse fit écarter tout ce qui se trouvait sur un certain périmètre, de quoi nous laisser le champ libre. De ses dents paraissant bien ridicules à côté des deux crocs imposants, l'animal attrapa le tontatta par le costume. Ce dernier qui couinait déjà se vit propulser en l'air pour atterrir sur le dos dont le dermes pouvait servir d'accroche au passager. « Tony, prend Ahppa avec toi et monte. Mais surtout ne la lâche pas ! » Son grognement féroce qui dissuada les joyeux lurons de rester sur le chemin, Saint-Urea commença à paniquer, hurler, et courir dans tous les sens.

Elle sentit les poids s'accumuler sur son dos mais un grand monstre pareil dont la force était bien plus élevée ne sentait que trop peu les cavaliers sur son dos. « Accrochez-vous bien, je viendrais pas vous chercher. » Le sérieux au bord des lèvres, elle fit un petit saut en avant mais s'arrêta brusquement entre les deux marines encore assis par terre. Elle Le smilodon ne tourna même pas sa grosse tête, seulement ses oreilles poilues, et sa queue qui balançait de droite à gauche pour finalement claquer la tête de l'un et de l'autre. « Ciao les nazes ! » Et la Coco ne s'attarda pas plus longtemps,  laissant tomber la perruque et le chapeau de cowboy, elle se mit galoper sans trop forcer sur sa vitesse et ainsi permettre à Tony de la guider. Direction le port !

Techniques:

Cette ville était un véritable labyrinthe. Entre ces rues immaculées qui se ressemblaient autant les unes que les autres. Mais les réflexes et les sens supérieurs du Smilodon conféraient à Calamity une vision relativement claire sur ce qu'il se passait autour d'elle et où les menait la rouquine sur son échine. Tantôt la belle bête galopait, tantôt elle freinait sur ses griffes, et parfois elle grognait en montrant mieux encore ses imposantes défenses. A droite, à gauche, demi-tour, droit devant... La féline s'exécutait sans montrer aucun signe de résistance, elle savait qu'ils étaient tous après les deux humaines, le robot et le tontatta. Si l'un se faisait prendre, tous étaient fichus. C'était ce qui la convainquit d'écouter sagement le ton impératif et précipité de Tony. Car elle les entendait, ces pas, ces courses qui s'accumulaient les unes derrière les autres, peu à peu, et qui les chassaient ardemment.

Les mouettes, celles-ci qui signifiaient que le port était bien plus proche et elles nous indiquaient où aller pour être sur la bonne route. D'un coup d’œil le gros matou se fit violence pour ne pas aller jouer avec les zoziaux. Ses grands yeux ambrés se rabaissèrent, Cal' réagit au même moment où Tony lui cria de revenir sur ses foulées et de prendre la prochaine à droite. Mais lorsqu'elle se retrouva entourée de toute cette assemblée, cette fois, la bête perdit patience -et c'était plus impressionnant que lorsque l'humaine craquait-. Un gros rugissement qui retentit dans toutes les rues, allant jusqu'à s'élever au-dessus du tintement du saint cloché qui sonnait l'heure. La panique fut telle que le Smilodon poussa sans aucun état d'âme les passants qui avaient trop lentement réagi. Or, quand son ouïe reconnut la masse de monde qui les poursuivait à environ une petite centaine, marines et civils confondus, l'animal accéléra plus encore en consignant à ses compagnons : « Accrochez-vous bien ! »

Et enfin l'odeur iodée de la mer. Le doux courant d'air qui venait et s'en allait d'une allure constante et qui faisait à peine voler son épaisse fourrure. Une fois encore, le smilodon acquiesça aux indications de la rousse et lorsqu'elle vit cette silhouette aux cheveux atypiques, ajouté à la panique exprimée d'Archibèlde, elle comprit. Un poids de plus ou de moins, en vérité, la force du félin antique n'en ressentait pas vraiment la différence. Elle continua.

Puis vint là, devant elle, la fin de la course et ils étaient arrivés les premiers, ils avaient gagné... Comment ça pas fini ?! En effet, car si la distance mise avec leurs poursuivants étaient non négligeable, elle serait vite rattrapée. La grosse bête quitta ses griffes, ses pattes et son museau pour sa silhouette initiale, presque juvénile. Toujours habillée, seulement dépourvue de son déguisement. Calamity reprit le sac à dos des épaules de son assistante, toujours aussi stoïque, c'était à peine si l'on pouvait penser qu'elle s'était mise en veille. En un regard vers l'arrière, elle vit déjà les premières lignes du front qui débarquaient. « Ok, pas le temps de niaiser. » Sans réfléchir, elle commença à courir sur les passerelles et suivit celle qui menait à un unique bateau de la marine. Un minuscule navire qui suffirait amplement aux cinq personnages. Il manquait plus qu'ils fassent les fines bouches. Cependant ce fut un bonheur de voir que le propriétaire avait laissé les voiles ouvertes. La civile qui n'était pas vraiment familière avec la navigation n'en vit pas une menace. « On prend celui-là, et on s'dépêche ! Si y a des marines, j'les bouffe, ok ? » Elle plaisantait bien sûr... Enfin peut-être pas.

Aussitôt dit, aussi vite elle avait empoigné Ahppa par la taille pour la jeter sur le pont, et que le sort lui soit favorable ! Visiblement le destin lui donna un doux matelas sur lequel atterrir puisque le bruit sourd d'une chute sur le parquet se fit entendre. Le robot s'était rattrapé sans le vouloir sur le corps de chair d'un jeune homme bruit. L'intelligence artificielle, fidèle à elle-même, se contenta de se lever. « Bonjour, Automatic Human Protection Prototype-A, avez-vous besoin de mes services ? » Oui, fidèle à elle-même.

De son côté, la jeune Coco aida le tontatta et Tony à monter à leurs tours tandis que Rhees et elle-même en firent de même en dernier. Ça y est, ils étaient sortis d'affaire, plus qu'à partir ! Quoi ?! Comment ça toujours pas ?! En effet, en faisant volte-face pour chercher la barre, elle fut alertée par le vol plané d'un individu de bleu et de blanc -par déduction un marine- qui passa par dessus bord, droit à la flotte. Le sursaut que cela provoqua chez Calamity l'obligea à tourner le regard sur la provenance, sur cette grande ancre tenue par... Un albinos ? Ah non pas encore ! Cependant, celui-ci n'était pas vêtu de l'uniforme marin, c'était déjà un bon point. Lorsque ce dernier prit le temps de se retourner, la civile remarqua la soudaine venue d'un pigeon. Un canari ? Une perruche ? Bref, d'un oiseau à la puissante voix mais qui fut surélevée par celle de l'homme sur lequel il s'était posé : « Cocooooooooo ! Enfin, tu reviens ! J’pouvais pas partir sans toi. » C'était quoi c'délire ?! Comment cet inconnu complet pouvait bien la connaître alors qu'elle n'en avait aucun souvenir. « Eh mais t'es qui toi ?! » Brailla-t-elle dans sa direction.

« To...To... TONY REGAAAARDE ! » Le cri affolé du brave Archibèlde -hm- ne laissa même pas le temps au mystère de se résoudre puisque Calamity s'empressa de regarder dans la direction que montrait le petit tontatta du doigt. Deux hordes de foules toutes aussi enragées l'une que l'autre. « Bordel, y en a de tous les côtés ! On s'casse ! VITE ! » Peu importe qui étaient ces deux hommes à bord, il ne fallait pas traîné, et tant pis pour eux s'ils étaient embarqués dans les sales histoires de deux jeunes femmes en visite seulement sur Saint-Urea. Après tout, s'ils faisaient du zèle, ils étaient deux, le reste étaient trois et demi -parce qu'un tontatta et un robot n'était même pas une demie personne pour la Coco. Elle claqua vivement des mains et commença à s'agiter pour tenter de servir à quelque chose. « On s'bouge ! »