Comme un ouragan ♫

 

Voilà maintenant deux jours que j’avais quitté Baterilla. Tout se passait pour le mieux et le trajet vers la base M4 suivait son cours. Du moins, ce fut le cas jusqu’à la tempête. Oui, vous avez bien entendu. Cette tempête était énorme et j'ai eu de la chance d'en sortir en un seul morceau. Mais reprenons du début.

La tempête a commencé en pleine nuit. On nous avait prévenus que la nuit risquait d’être longue, mais j’avais tout de même réussi à trouver le sommeil, jusqu’à ce que ça commence à tanguer et à hurler un peu partout.
Je me levais donc et montais sur le pont, en me tenant aux murs pour ne pas tomber en cour de route. Même comme ça, je manquais parfois de m’étaler sur le sol, ou de me cogner la tête contre une poutre ou deux.

J’avais mis au moins dix bonnes minutes pour aller de la cabine de l’équipage jusqu’au pont du navire. Pourtant il n’y avait qu’un couloir et un escalier qui séparaient les deux.
Une fois en haut des escaliers, je regardais autour de moi. Les vagues étaient gigantesques, il y avait peu de tempêtes comme celles-ci sur les blues.
J’attrapais vivement une ligne de vie, que j’attachais à ma taille, puis j’allais de cordage en cordage pour vérifier que tout était bien attacher.

Alors que je comptais aller voir le capitaine, afin de recevoir mes ordres, un homme se fit renverser par une vague et commençait à glisser sur le pont.
Après un bond pour arriver à sa portée, je lui attrapais la jambe pour l’empêcher de passer par-dessus bord.

“Me… Merci ! dit-il en reprenant son souffle.”

“Ne me remercie pas. Lui répondis-je en attachant une ligne de vie à sa taille. Contente-toi de rester en vie !”

Je m’éloignais après ces quelques mots et j'allais enfin, rejoindre le capitaine, qui était aux côtés du navigateur. Les deux hommes se ressemblaient beaucoup. Ils étaient tous deux grands, bruns et avaient une grosse moustache épaisse qui semblait sortir de leurs trous de nez. Par moment, je les soupçonnais même d’être des frères.
Je ne prenais pas le temps de les dévisager bêtement, je vous rassure. Je m’approchais des deux hommes en me tenant fermement là où je pouvais.

“Capitaine ! lançais-je pour attirer son attention. Y a-t-il quelque chose que je puisse faire ?”

Techniquement, j’étais en permission, j’étais donc un simple passager. Mais si je pouvais aider, je ne m’en priverais pas. De toute façon, je n’arriverais pas à dormir avec tout ce chahut.

“Notre charpentier est passé à la baille ! Me répondit-il. Nous avons une voie d’eau dans la cale à ce qu’on m’a dit. Vois ce que tu peux faire !”

“À vos ordres, Capitaine ! répondis-je avant de m’éloigner.”

Encore une fois, atteindre la cale du navire était un vrai calvaire. Je devais traverser le quartier de l’équipage, puis l’armurerie et enfin, j’arrivais à la cale. En temps normal, cela m’aurait pris une heure ou deux. Mais cette fois, comme je devais lutter pour ne pas me faire trimbaler dans tout les sens par les mouvements du navire, cela m’a pris un bon quart d’heure.

 

 

Une fois enfin arrivé dans la cale, je remarquais très vite la voie d’eau. Il y avait un trou de la taille d’une petite balle dans l’une des parois.

Qu’on soit clair, je ne suis pas charpentier. Je suis ingénieur, du moins je suis censé l’être. Mais si je pouvais rendre service et trouver un moyen de boucher ce trou, alors je le ferais.
Comme ce navire naviguait principalement sur les blues, la coque n’était pas renforcée. C’est certainement pour cela qu’elle s’était aussi facilement percée, je pense.

Comme je n’avais aucun matériau sous la main, j’arrachais le couvercle scellé d’une caisse de la cargaison. Une caisse de fruits, si j’en croyais ce qui était écrit sur le côté. Je la plaçais ensuite sur la fuite, ce qui n’était pas facile, à cause de la pression de l’eau. J’avais pris garde à ce que les clous du couvercle restent sur celui-ci, j’eus juste à taper quelques coups avec mon poing métallique et l’affaire était dans le sac.

Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai remarqué du mouvement à la limite de mon champ de vision.
Je tournais vivement la tête et aperçus le bout d’une queue qui disparaissait par la porte de la cale.
Je me lançais rapidement à la poursuite de la chose que j’avais entraperçue. Quoi qu’elle puisse être, cette chose était agile et rapide, car elle échappait toujours à mon regard.

J’arrivais finalement, après de longs efforts, à me cogner partout et me tenir a tout ce qui me passait sous la main à coincer cette chose.
Elle s’était enfuie dans le placard à provisions des cuisines. Je m’y étais précipité moi aussi et avais fermé la porte derrière moi.
Cette fois-ci, cette créature ne pouvait plus m'échapper. Je jetais des coups d’œil à droite et à gauche, dans la faible lumière d’une vieille lampe à huile qui trônait sur une étagère.

Je finis, enfin, par apercevoir le bout d’une queue dépassant derrière un panier rempli de pêches. J’attrapais donc vivement le panier et regardais enfin ce qui se cachait derrière.
Il s’agissait d’un petit singe, pas plus haut que mon avant-bras. Il avait une longue queue, dont il se servait actuellement pour tenir une pêche, pendant qu’il en mangeait une autre avec ses mains. Je posais le panier et je prenais la lampe à huile dans la main pour le regarder de plus près.

“Salut toi… Qu’est-ce que tu fais là ? lui dis-je d’une voix la plus douce possible, pour le rassurer.”

J’approchais la source de lumière de lui pendant qu’il mangeait. Il n’avait pas l’air effarouché, il semblait même plutôt calme, en fait.
Ce petit singe semblait mal en point et affamé. Il perdait ses poils par endroit et avait une cicatrice sur le dos. En scrutant son visage, je remarquais aussi que l’un de ses yeux était vitreux.
C’était l’un des animaux les plus miteux que je n’ai jamais vu. Avec toutes ses cicatrices, il me rappelait un peu moi-même.

Bien vite, le petit singe porta son attention sur moi et me regarda calmement en léchant le jus de pêche de ses doigts.
Après un petit moment, la tempête, que j’avais complètement oubliée, fit tanguer dangereusement le navire. Le singe prit peur et sauta sur mon visage pour se cramponner. Je perdais alors l’équilibre et je tombais contre la porte, qui céda sous mon poids. J’agrippais alors le singe, grâce à ma main mécanique, puis le faisais lâcher prise. Il me laissa au passage quelques griffures sur le visage, mais, rien de grave.
Je regardais l’animal avec de la colère sur le visage, si bien qu’il se cacha les yeux avec ses mains en formant un cercle avec sa bouche.
Bon, il avait eu peur, ça arrive. Et cet animal m’était bien sympathique. Il avait des mimiques qui le rendaient assez attachant. Alors que mon regard s’adoucissait, je remarquais que la lumière avait changé dans la pièce.

Dans ma chute, j’avais laissé tombée la lampe à huile et un départ de feu se propageait rapidement dans tout le garde-manger.
Je me levais rapidement et posais le singe sur mon épaule, avant de me précipiter sur le pont. Cela prenait tellement d’ampleur, que je ne pourrais pas gérer cela tout seul.
Cela me prit deux ou trois minutes avant que je sorte la tête de la trappe menant à l’air libre. Je remplis alors mes poumons d’air.

“Départ de feu dans la cuisine ! criais-je alors bien haut.”

La tempête avait baissé en intensité et l'on m’entendit bien malgré le vent fort qui soufflait encore et accompagnait le bruit des vagues.

 

 

D’autres hommes vinrent avec moi et nous avons formé une chaîne humaine, pour acheminer des seaux d’eau.
Comme j’avais plus de facilité à remonter des seaux d’eau sans me faire happer par les vagues. Nous continuâmes ainsi pendant une bonne heure. L’incendie avait pris tellement d’ampleur qu’il avait même atteint les quartiers de l’équipage et dévasté complètement la cuisine.
Après cela, nous étions tous épuisés. La tempête s’était finalement calmée et les rayons du soleil transperçaient les nuages tels des lances.
Je regardais un officier faire l’étendue des dégâts et les rapporter ensuite au capitaine.

“Mon capitaine, la cuisine et le garde-manger ont brûlé. Commença le lieutenant. Les quartiers de l’équipage ont été touchés. J’estime que la moitié des couchages ont flambé. Dix centimètres d’eau dans la cale. Mais la brèche a été colmatée. La grand-voile a été déchirée et le gouvernail ne répond plus !”

Le capitaine garda le silence un moment en tripotant sa moustache et en regardant l’horizon.

“Winston ! cria-t-il à l’adresse de son navigateur. Mets le cap vers l’île la plus proche !”

“Oui capitaine. Mais comment fait-on sans gouvernail ? répondit celui-ci.”

“Sert toi de la brigantine, ça suffira jusqu'à l’île la plus proche.”

Le navigateur se mit à l’ouvrage sans rechigner, prenant des hommes avec lui pour manœuvrer la voile arrière.
Après avoir constaté lui même les dégâts et noté le nom des blessés et des disparus, le capitaine vint vers moi.

“Lieutenant Lazarus, c’est ça ? Me lança-t-il. Vous avez bien réparé la voie d’eau dans la cale.”

“Merci capitaine. Répondis-je en me levant pour me mettre au garde-à-vous.”

“Repos. Me dit-il avec un geste de la main. C’est vous qui avez constaté le premier l’incendie. Que s’est-il passé exactement ?”

Je déglutis discrètement en regardant le capitaine.
Je ne pouvais pas dire la vérité, je sentais le regard des autres, prêt à se jeter sur moi pour me foutre à l’eau. Et encore, ça, c’est si j’avais pu empêcher l’incendie. Vous imaginez si je leur dis que j’en suis la cause.
J'aperçus le singe que j’avais trouvé plus tôt, jonché sur la vergue la plus basse du mât de misaine.

“Lorsque j’ai eut terminé les réparations, j’ai remarqué ce singe. Commençais-je en montrant le macaque. Je l’ai poursuivi jusqu'à l'entrée de la cuisine et j’ai entendu un bruit de verre cassé.
J’ai été voir de quoi il s’agissait et j’ai vu l’incendie qui prenait rapidement de l’ampleur. Je suis donc venu demander de l’aide.”

Quoi ? Ne me regardez pas comme ça. Un petit mensonge ne faisait pas de mal de temps en temps. Et puis, je n’avais pas envie de me faire jeter par-dessus bord où qu’on m’enferme dans la cale pendant tout le trajet.
D’où j’étais, je pouvais voir le singe derrière le capitaine, qui se bouchait les oreilles en me regardant d’un air désapprobateur.
On jurerait presque qu’il avait compris que je mentais.

“Bien, tu as bien fait. Le navire entier aurait pu flamber si tu n’avais pas donné l’alarme. Dit-il de sa voix grave.”

“Capitaine ! lança un matelot qui venait d’arriver. Nous avons trouvé une lampe cassée sur le sol de la réserve. L’incendie a dû commencer à cet endroit.”

“Rhaa, satané cuistot. Il a encore laissé trainer sa lampe n’importe où ! lança notre supérieur, énervé. S’il n’était pas passé par dessus bord, je le jetterais moi même à la baille !”

Je me sentis mal pour le cuistot tout à coup. Mais comme il n’était plus là, il n’aurait pas d’ennuis au moins.
Je m’éloignais un peu, des autres pour regarder la mer. Je n’aimais pas mentir, mais parfois, ça ne faisait pas de mal. Cependant, ça n’empêchait pas de se sentir mal après.

Le singe vint se percher sur mon épaule et je le regardais en silence, pendant qu’il semblait me chercher des poux.
J’avais lu, il y a longtemps, qu’il s’agissait d’un signe d’affection ou un truc comme ça. Je décidais finalement de le laisser faire et je regardais l’horizon en réfléchissant à ce que j’avais fait.
D’un côté, j’avais failli faire cramer tout le navire. Mais d’un autre, j’avais aidé à le sauver. Ça compense du coup.

Je sortis de mes pensées lorsque la voix de la vigie se fit entendre.

“Terre en vue ! cria-t-il bien haut, afin d'être entendu de tout le monde”

Je m’appuyais alors au bastingage, afin d’apercevoir l’île en question. Elle n’était pas bien grande. Une grande montagne en son centre et une forêt tout autour.