La première classe [PV : Elena Scarzoni]

Dans le monde, il y avait toujours une séparation perceptible entre les personnes influentes et les autres. C’était une sorte d’ordre naturel qui était inscrit dès la naissance pour la plupart et même si certaines personnes parvenaient à se hisser de force au sommet, les privilégiés ne les acceptaient que rarement ou alors, à contre cœur. Dans le cas de la famille Scarzoni, les choses s’étaient passées en douceur et si beaucoup de nobles étaient assez hostiles à cette famille mafieuse au début, ils avaient su démontrer leur utilité à bien des égards. Leur puissance était conséquente dans le Royaume de Gruunar et même la Marine ou la garde royale ne pouvait véritablement s’opposer à eux pour le moment. Cet avantage leur offrait donc pas mal d’opportunités de consolider leurs liens avec la classe noble et de s’assurer des alliances lucratives. Anatoli Scarzoni était un fin diplomate et évidemment, il espérait bien s’ouvrir définitivement les portes de ce cercle très fermé et pour y parvenir, l’éventuel mariage de sa fille était une possibilité à envisager. Malheureusement, cette dernière ne se montrait pas très réceptive à cette idée et son caractère bien trempé n’aidait pas à concrétiser ce projet.

Toutefois, le chef mafieux eut l’idée d’organiser une grande fête dans sa somptueuse demeure. L’objectif était double car d’un côté, il voulait vérifier la solidité de ses alliances par la présence de certains invités de la noblesse et de l’autre, il voulait tenter de présenter sa fille sous un autre jour qui lui permettrait peut-être d’accrocher un jeune nobliau en manque d’amour. Sa fille était une beauté comme sa mère et pour son plus grand malheur, elle en avait parfaitement conscience. Il était donc presque impossible qu’un homme trouve grâce à ses yeux mais bon, peut-être qu’un courtisan acharné et fortuné pourrait parvenir à lui arracher un compliment qui sait. Afin qu’elle se sente concernée par cette fête, il décida de lui en confier l’organisation, prétextant lui attribuer une mission capitale car de nombreux contrats seraient négociés durant les festivités. Bien que réticente à la base, la rouquine accepta de s’en charger et immédiatement, elle alla voir le cuisinier pour qu’il s’occupe de presque tout. Connaissant parfaitement sa fille, Anatoli avait fait le nécessaire et c’est donc face à un mur que l’adolescente se retrouva.

« Désolé Mademoiselle Elena. Votre père m’a accordé une semaine de congé et je ne serai donc pas là. »

Songeuse l’espace d’un instant, elle ne manqua pas de trouver une solution à ce problème épineux.

« Annule tes vacances dans ce cas. »

Le cuisinier resta un peu sans voix, ne sachant pas quoi répondre à la fille de son boss. Il connaissait la réputation de cette dernière et s’il s’opposait trop à ses demandes, il risquait de le payer cher. Fort heureusement pour lui, Jintao, le bras-droit d’Anatoli débarqua dans la cuisine après avoir entendu la conversation.

« Ojo, ton père veut que tu gères cette fête. Il faut donc que tu trouves un cuisinier et tout ce qui va avec. Ne me dis pas qu’une belle fille comme toi n’a pas les ressources suffisantes pour mener à bien cette mission ? »

En tant que précepteur de la jeune fille, il savait parfaitement comment lui parler et la pousser à faire ce qu’il voulait. C’est donc dans un long soupir que la jeune fille sortit de la cuisine en se demandant où elle pourrait bien trouver un cuisinier. D’un hochement de tête, le cuisinier des Scarzoni ne manqua pas de remercier Jintao car sans lui, il risquait de passer un sale quart d’heure entre le père et la fille. Quoiqu’il en soit, l’adolescente devait maintenant trouver une solution à son problème et alors qu’elle réfléchissait, une idée lui vint en tête. Il y avait un restaurant très huppé dans le centre-ville de la capitale. Il n’y avait qu’à leur demander de s’occuper de tout ça à sa place. Cette première ébauche d’idée ne manqua pas de la satisfaire et c’est donc tout naturellement qu’elle se rendit au restaurant cinq étoiles fréquenté par la noblesse et la bourgeoisie. Elle-même avait déjà été à plusieurs reprises, ce qui facilita grandement l’approche, même s’il fallait l’admettre, elle devait certainement être une cliente difficile à leurs yeux.

C’est donc habillée d’une magnifique robe blanche qui mettait bien ses formes en valeur, les cheveux parfaitement coiffés, les ongles vernis et le maquillage sans faille qu’elle se rendit sur les lieux. Assez rapidement, le patron du restaurant vint la saluer comme il se devait, l’invitant à s’asseoir. Malheureusement pour lui, Elena n’était pas du genre à tourner autour du pot et c’est donc avec le plus grand naturel qu’elle lui exposa en quelques sortes sa demande.

« Ma famille organise une grande réception dans une semaine. Etant responsable de l’organisation, je veux que votre cuisinier vienne préparer le repas. On fera une sorte de buffet avec différents plats chauds et froids. »

L’homme resta un peu surpris car bon, il ne semblait pas vraiment avoir le choix. Malgré tout, cela restait un événement important dont il pourrait tirer un certain profit et par conséquent, il ne s’y opposa pas, même si de son côté, son cuistot allait certainement tirer la gueule. Maintenant, vu qu’il allait devoir fermer son restaurant, il devait tenter de placer ses serveurs et serveuses, histoire de gagner encore un peu d’argent en plus.

« Si vous le désirez, je peux également vous fournir des employés de salle afin de vous épargner bien des tracas ? »

La rouquine resta un peu songeuse car bon, elle voulait que tout soit particulièrement réussi et voir des moches trimbaler de la bouffe d’un côté à l’autre, ce n’était pas toujours très agréable. Elle posa donc ses conditions.

« Pourquoi pas. Mais je veux voir leurs têtes avant. Je choisirai ceux qui ne feront pas peur à mes invités. J’espère qu’ils n’ont pas tous votre tête … »

Toujours aussi sympathique dans ses propos, Elena laissa donc le patron du restaurant digérer la chose en s’en allant, observant au passage les différents serveurs qui parcouraient la salle. En tout cas, elle espérait bien en trouver l’un ou l’autre qui pourrait convenir car sans cela, elle devrait aller ailleurs pour les trouver, ce qui n’était pas gagné. Elle profita du reste de la journée pour envoyer ses hommes faire quelques préparatifs, notamment les fleurs et la location du mobilier. Afin de négocier un bon prix sur l’alcool et le vin, elle se rendit en personne chez le marchand, accompagnée de ses gardes du corps afin de mettre une pression supplémentaire. Cela fut assez efficace vu qu’elle s’en sortit pour une somme défiant toute concurrence. Au final, elle put se relaxer en se faisant masser le reste de la soirée, contente de voir cette fête presque organisée.


Le lendemain, elle se rendit donc au restaurant huppé de la capitale afin de faire sa sélection de serveurs. Toujours très belle dans sa robe bleue, digne d’une princesse, elle s’installa à une table préparée pour la circonstance par le patron des lieux. Tout en mangeant, le défilé des serveurs commença. Le premier était un petit trapu qui semblait avoir dans les quarante ans. Bien sûr, les réflexions de la jeune femme ne manquèrent pas de faire mal.

« Non, ce n’est pas possible. Mes invités devraient même se baisser pour prendre leur verre. S’il n’y avait que ça, je pourrais faire avec mais bon, il est hideux en plus. On dirait qu’il a eu un accident de berceau. Suivant ! »

Vu les exigences de la belle rousse, le patron du restaurant avait même fait revenir ses employés qui étaient en congé pour passer ce casting mais bon, il ne s’attendait certainement pas à des commentaires aussi tranchés. Même le plus beau serveur du restaurant, le magnifique Pablo qui avait le corps d’un apollon, musclé juste comme il faut et un visage très réussi, passa in extremis après le jugement impitoyable d’Elena. La plupart des autres ne manquèrent pas de prendre de lourdes remarques en plein visage, même si pour l’adolescente, ils avaient certainement déjà du prendre pas mal de coups dedans.

Les serveurs et les serveuses se succédaient devant les critiques dures et sans pitié de la représentante de la famille Scarzoni. Plusieurs employés « potables » avaient déjà été sélectionnés mais bon, vu la taille du banquet qui allait être organisé, cela n’allait sans doute pas suffire. Les bras croisés sur son imposante poitrine, Elena vit s’avancer une petite serveuse toute mince. Son visage relativement juvénile aurait même pu la pousser à la prendre pour une gamine. A première vue, elle ne rentrait pas dans les critères de beauté de la rousse mais bon, elle s’interrogea tout de même un long moment, détaillant chaque parcelle du corps de la jeune fille, presque comme une perverse reluquant sa proie. Son physique, son visage et même son côté assez peu sûre d’elle semblaient coller avec ce qu’un des invités du marque du banquet semblait apprécier. Ce type était un pervers fini et par conséquent, une lolita de ce style pourrait bien lui faire gagner des points. Il n’était pas du genre à apprécier ce genre de soirée mais avec une serveuse de ce type, peut-être qu’il y trouverait son compte. En plus, s’il venait à déraper avec cette dernière, cela serait un bon moyen de pression pour la famille Scarzoni.

« Gamine, comment t’appelles-tu ? Même si tu ressembles à une enfant n’ayant pas encore passé la puberté, tu pourrais faire l’affaire, du moment que tu n’as pas une voix de marchande de poissons. »

Attendant la réponse de la serveuse, Elena fut rassurée de voir que sa voix collait assez bien à son allure. Elle pourrait donc être utile dans ses projets pour le banquet. Il faudrait sans doute la rendre un peu plus tentante mais bon, ce n’était pas vraiment le plus difficile. D’un geste de la main, elle indiqua au patron du restaurant qu’elle était retenue et fut invitée à se mettre avec les quelques autres ayant eu ce privilège. Bien sûr, d’autres membres du personnel n’eurent pas autant de chance et les éliminations de la rouquine n’étaient pas des plus faciles à digérer, surtout pour celles qui se croyaient belles et attirantes. Les remarques d’Elena étaient tranchantes et ne laissaient pas de place à la gentillesse, bien que de son point de vue, elle ne faisait que dire la vérité et que par conséquent, il n’y avait pas de quoi s’en offusquer. Finalement, après une petite heure, la jeune femme se leva calmement, invitant les heureux élus à la suivre dans la pièce adjacente, ce que le patron confirma d’un geste de la main, marquant clairement que face à elle, il n’avait strictement rien à dire.

Une fois les dix élus entrés dans la pièce, Elena s’installa à nouveau confortablement, ne manquant pas d’attirer les regards des quelques hommes sélectionnés sur son corps de rêve. Telle une patronne sûre d’elle, la jolie rousse commença à dicter ses instructions au petit groupe, histoire qu’ils sachent à quoi s’en tenir.

« Pour ceux qui l’ignore, je suis Elena Scarzoni. Si vous êtes ici, c’est que vous avez le minimum requis pour travailler lors du banquet organisé par ma famille la semaine prochaine. Vos uniformes vous seront envoyés dès demain et je vous attendrai la semaine prochaine dans la demeure des Scarzoni où aura lieu le banquet afin de mettre en place les différents détails. Soyez-là à 8h00, le moindre retard se payera chèrement. »

Au final, personne ne semblait leur laisser le choix d’accepter ou de refuser, le patron du restaurant se contentant d’acquiescer sans sourciller. En prononçant sa dernière phrase, un froid sembla s’installer et pour cause, chacun pouvait voir à l’expression de la jeune femme qu’elle ne plaisantait pas le moins du monde. A Gruunar, la famille Scarzoni était très connue et tout le monde savait qu’il ne valait mieux pas les contrarier. Finalement, Elena se tourna plus précisément en direction de la gamine aux cheveux argentés. Elle s’approcha d’elle et toucha ses cheveux, histoire de voir si elle pourrait en faire quelque chose. Elle fit deux fois le tour de la jeune fille, l’inspectant plus en détails encore que tout à l’heure. Finalement, elle s’arrêta face à elle pour lui parler.

« Toi, tu viendras demain chez moi. On va essayer d’arranger un peu ton allure car tu auras une tâche bien précise durant ce banquet. Je t’attendrai à 10h00, tes heures seront payées donc n’essaye pas de me faire faux bond. »

Laissant retomber la chevelure de l’adolescente, la rouquine sourit calmement, exprimant clairement que toute cette histoire cachait autre chose. Finalement, la riche fille de la famille Scarzoni sortit du restaurant, immédiatement encadrée par ses six gardes du corps. Elle retourna tranquillement chez elle afin de peaufiner un peu plus ses plans pour le banquet. Chemin faisant, elle envoya l’un de ses hommes chercher toutes les tenues pouvant être jugées sexy à la boutique. Il fallait maintenant trouver le juste milieu et surtout, donner un peu de consistance à cette serveuse qui aurait pour but de rendre le Duc de Froburgh un peu plus sensible aux attentions des Scarzoni.

Le lendemain, Elena attendait que la jeune fille arrive chez elle. La pièce n’était qu’une grande garde-robe qui permettrait à cette dernière d’habiller la serveuse avec goût, histoire qu’elle corresponde à la fillette sur laquelle elle avait surpris le Duc à lorgner. Ses hommes avaient pour ordre d’escorter son invitée jusqu’à cette pièce et si par malheur, elle lui faisait faux bond, la réponse était également prévue.

Le rendez-vous était pris pour tous les serveurs qui officieraient lors du grand gala donné par la famille Scarzoni. Il ne restait plus qu’à s’occuper du cas de la gamine qui pourrait être très utile pour obtenir les bonnes grâces du Duc de Froburgh. Bien sûr, si cette fille pensait échapper aux autres tâches qui lui incombaient, elle se trompait lourdement car au final, même si son physique enfantin était un atout de plus, son premier rôle restait de satisfaire les invités. En tout cas, cette soirée s’annonçait très importante et d’ailleurs, les invitations étaient déjà en partance pour toute la noblesse et la haute bourgeoisie du Royaume. Les Scarzoni voulaient frapper un grand coup afin de s’assurer le soutien de tout le monde et de maintenir leur statut de protecteur de Gruunar. Evidemment, Anatoli avait surtout confié cette affaire à sa fille pour l’occuper et éviter des débordements mais bon, cela restait un événement important qu’il ne fallait pas louper. Dans les rues, les gens commençaient déjà à lancer des discussions sur cette grande soirée et sur l’envie d’y être invité mais bon, les portes ne s’ouvriraient pas pour n’importe qui et tous le savaient très bien.

Alors qu’Elena terminait les préparatifs avec ses hommes, une servante conduisit Sora jusqu’à une grande pièce remplie de vêtements. Il y en avait pour tous les goûts et bien qu’il ne fallait pas trop s’éloigner de la tenue des autres serveurs pour que ça ne dénote pas, il fallait également prévoir la suite. La servante frappa à la porte et fit entrer la gamine, l’introduisant à sa Maîtresse comme cela se fait dans la noblesse.

« Sora ! Je t’attendais. Je ne vais pas te mentir, tu ne dois pas avoir beaucoup de succès avec ton physique ingrat mais bon, je connais un homme qui pourrait tomber sous ton charme. C’est un vieux pervers mais bon, ma famille a besoin de son soutien pour éviter les débordements. »

Alors que la servante revenait pour apporter du thé et des biscuits, la rouquine se leva pour sortir la tenue de base des serveuses lors du banquet. Elle l’examina un instant et se tourna ensuite vers la jeune fille.

« C’est un peu trop classique pour attirer le regard. On va resserrer au niveau du buste afin de mettre en avant ton absence de poitrine. Pareil pour la jupe qu’on va raccourcir, il faudra mettre une culotte blanche aussi ! En bon pervers, il associera sûrement cela à une pureté débile. Stéphano va prendre tes mesures et faire les retouches. »

Le couturier de la belle s’inclina poliment devant Sora, avant de sortir son mètre ruban pour prendre les mensurations de la jeune serveuse. Il semblait particulièrement professionnel et pour ceux qui s’y connaissaient un peu, son nom pouvait facilement faire comprendre qu’il s’agissait d’un grand styliste qui ne travaillait que sur commande. Il faut dire que la fille Scarzoni avait les moyens et tous ses vêtements étaient fait sur mesure donc il ne pouvait pas refuser une de ses requêtes.

« Il est possible que le Duc de Froburgh t’invite par la suite. Si cette occasion se présente, tu peux choisir une robe parmi toutes celles qui sont dans ce dressing. Stephano fera les ajustements également pour la mettre à ta taille. Bien sûr, cette entrevue et ce que je viens de te dire ne doit pas quitter cette pièce sans quoi, je te ferai tuer sans la moindre pitié ! C’est bien compris ? »