life vs me ▬ houston

(Sainte-Pélagie; Carbone; actualy)

Aujourd'hui, il pleut des bulles sur la totalité de Sainte-Pélagie. Territoire suspendu dans les airs, il reste encore et toujours caché derrière d'importants lambeaux de nuages, comme s'il craignait qu'on ne l’aperçoive d'en bas. Les rues sont noires de monde et l'harmonie dans laquelle évolue les habitants laisse perplexe les quelques touristes qui parviennent à se hisser dans ce ciel qui a pourtant connu des jours bien sombres. Carbone, jeune retraité de North Blue a choisi cette nouvelle destination pour couler des jours paisibles, et c'est accompagné de sa famille qu'il est arrivé il y a déjà quelques mois déjà sur la fameuse île céleste. Il faut dire que l'ancien garde royal n'avait pas hésité une seule seconde à entreprendre ce voyage vers l'incroyable fief de son noble seigneur quant on lui a dit qu'il allait enfin pouvoir profiter de son temps au vu des  loyaux services qu'il avait rendu à la couronne.

Sur les Blues, on conte encore l'incroyable prouesse réalisée par les scientifiques du Royaume de Saphir il y a trente-huit ans. On dit de cet endroit qu'il est le joyau que laissera le roi Béryl derrière lui quand il finira par rejoindre ses ancêtres. Jamais personne n'aurait songé à envoyer une île entière sur les nuages. C'était au delà de ce que l'on pouvait alors imaginer, à l'époque. Cela c'était déjà fait naturellement auparavant,par hasard; mais nul n'avait eu jusqu'alors suffisamment de folie en lui pour penser à reproduire l'exploit sans se servir d'un Knock-up Stream. Ce rêve idiot lui coûta bien cher, presque toute sa fortune. Il en fallut du temps et des cerveaux pour réaliser le projet du monarque. Pour donner vie à ce souhait que tous pensaient irréalisable. Mais il l'avait fait. Carbone était encore assez jeune quand Sainte-P avait vu le jour, après des milliers d'essais infructueux. Il se souvient de la difficulté qu'avait représenté cette entreprise et fut comme tous les habitants du royaume, contraint de se serrer la ceinture durant les nombreuses années de recherches. Elles leur avaient valu une somme de berrys des plus colossale et le pays minier avait connu alors une crise sans précédent.

C'est à ce moment que furent envoyés les premiers colons dont faisaient parti un de ses camarades de la garde, aussi scientifique de prestige. Le prix des billets pour là-haut devait servir à re-remplir les coffres du pays, mais ce dernier avait gagné son billet pour le paradis en œuvrant jours et nuits sur le projet fantasmagorique du régent. Surnommé Tonton par ses connaissances, cet homme qui se pliait toujours en quatre pour le bonheur des autres méritait plus que quiconque de profiter de cette création. Il envoyait souvent des lettre à Carbone, lui décrivant l'endroit comme un Eden magnifique et sans pareil. Plus tard, il finirait par le désigner comme un splendide monceau de nuages et de terres sauvage pollué par la cupidité des hommes. Le retraité se souvient encore du tas de descriptions que contenait les écrits de son confrère. Que ce soit sur le climat chaleureux, sur son bonheur ou bien ses doutes; tout était retranscrit et il s'était toujours entêté à garder chacune des lettres dans un petit coffre alors que sa femme les aurait volontiers jeté pour faire un peu de place et faire redescendre son mari des nuages dans lesquels chaque lecture l'envoyait.





uc



(Sainte-Pélagie; Novac; a huit ans)


«  Tu es folle ma petite  ». C’est ce que lui disait souvent Maman, ce qu’elle n'eût de cesse de lui répéter. A l’époque, Harley n'était pas bien grande. Juste une gosse, une mioche. Sa mère lui disait ça comme ça, sans vraiment y croire. Elle le soufflait comme si ça n'avait pas de sens, comme si ces mots n’avaient plus d’affecte quand ils quittaient sa suave bouche, entre deux envolées cristallines. C’est ces même mots qui glissaient si souvent sur ses lèvres, de pittoresques paroles en l’air délivrées à même l’atmosphère. Et l'enfant aimait bien l’entendre, cette phrase suivie de son rire. C'était sa façon à elle de lui dire je t'aime quand la gosse rentre à la maison et qu'elle n'a plus ces envies d'ailleurs qui lui crevait le cœur. C’était toujours après ces mots qu’elle apposait délicatement ses lèvres sur sa joue avant de lui prendre la main pour la guider jusqu’à la cuisine. Et malgré ses doses d'affection, elle continuait de partir, encore et encore, son balluchon sur l'épaule, ses pensées lancées à la volée dedans.

La petite Novac ne faisait que ça; elle partait pour revenir quelques jours après dans une interminable valse silencieuse. On ne lui disait plus rien à force, même pour les égratignures qui venaient parsemer sa figure et lui piquer les coudes. Elle se construisait ainsi, à coup de fuites de petites envergures. Elle allait chaque fois un peu plus loin, pour rendre sa vie plus concrète, moins amère. Chaque fois qu'elle quittait la rue de son enfance, elle tâchait de se convaincre qu'on ne la destinait pas juste à faire comme tout le monde ici. Elle espérait qu'elle n'était pas juste née pour servir de mains d'oeuvre. Elle ne voulait pas être juste bonne à cueillir du coton nuage pour ensuite le coudre. Elle ne souhaitait pas confectionner de vêtements pour lesquels elle n'obtiendrait aucun profit, si ce n'est de quoi s'acheter un vieux quignon de pain rassi.

Si la plupart des gens de l'underground semblaient résignés à vivre dans de telles conditions, ce n'était pas son cas et sa mère s'effrayait des conséquences que pouvait engendrer son esprit révolté. Elle serait née à une autre époque, il n'y aurait pas eu ce vaste ciel pour l'empêcher de s'en aller. Mais en ces temps, on ne quittait pas si facilement Sainte-P.
(uc)