Jo' "The Southern Kid" Reb

J’annonce tout de suite qu’un narrateur omniscient prendra le relais quand j’irai m’reprendre un whisky ou m’en griller une. Il s’exprimera comme suit: Bonjour, chers lecteurs, je suis votre narrateur. M’voilà, maintenant, on éteint les Den den machins et on observe.

Après presque trois années passées au service de la Marine, Jo’, fraîchement nommé lieutenant au sein du second équipage de la flotte de South Blue alors menée par la tout aussi fraîchement promue Tarah Connor, faisait face à l’armada déployée par la Révolution et ses alliés pirates. L’aube d’un jour en apparence calme se levait sur une mer endormie.

A quelle heure se lève le soleil à c’te période, déjà ? Sais plus. On va dire qu’il était tôt, genre un peu plus tard que les réveils à la caserne. On nous avait fait venir exprès de South Blue pour l’occasion, toute la smala était d’la partie, même les corsaires ! Tous venus pour dézinguer du méchant et du encore plus méchant. Croyez-moi ou non, j’étais inspiré.


Bientôt trente minutes qu’on les regardait arriver au loin. Bien-sûr, devinez qui on avait mis en première ligne ? Toujours les connards de South Blue. A croire qu’on était les seuls à avoir des tripes dans cette foutue Marine. Sur le pied de guerre avant tout le monde histoire de déguster un peu plus que les autres, comme d’habitude. Bon après on est des méchants, à South Blue, les pires de tous, nous on n’a pas peur de deux-trois clochards pieds-nus. … Nan en vrai ils étaient plutôt quatre ou cinq. Ou six ou sept. Va pour huit ou neuf.

Ce que n’évoque pas -bien qu’occulter serait ici plus pertinent- Jo’ c’est que les hommes de la division de South Blue n’étaient pas très certains de leur sort. Le moral n’était pas au rendez-vous. En revanche, ce qu’il ne sait pas c’est que la division de South Blue, dont les bateaux avaient été positionnés en ligne de bataille, était un atout que l’Amirauté avait pensé pour déstabiliser l’adversaire. En effet, les manœuvriers de Tarah Connor avaient pour ordre de lancer leur course dès les premiers boulets tirés afin d’harceler les navires révolutionnaires sur les flancs et, à terme, se faire maîtres des arrières de l’assaillant. En outre, la division sudiste faisait office d’écran en début et de  verrou en fin de bataille face à la formation audacieuse des bâtiments adverses. Astucieux mais dangereux pour les équipages.

Nan mais sérieusement ! Tout le monde était bien planqué derrière notre ligne indestructible !Même les gros bonnets ! On s’les caillait, j’vous raconte pas. En plus j’voyais que les copains n’étaient pas trop dans leur assiette donc c’était coton. Trois ans bientôt qu’on attendait de casser du barbare pour de bon et v’là qu’on se f’sait dessus ? Très peu pour moi.

-Oh, Mendy ! Mendy c’était le mec costaud de l’équipage. Doux mais puissant. Le mec me mettait dix têtes assis. Reste pas un peu d’gnôle dans l’coin ? Mendy il est gentil mais il est tout l’temps à l’ouest. Il m’a regardé avec des yeux ronds. Comme si il entendait le mot pour la première fois ! Tu soiffes plus que nous tous, t’sais très bien d’quoi j’parle, Mendy ! Commence pas à m’énerver, Mendy !

-Mais lieutenant Reb… Le con pensait que j’allais saper l’rhum de victoire, ça s’entendait, parole de soiffard.

-Bon, écoute Mendy. J’pointai la poubelle flottante la plus proche de nous. Tu vas m'lancer une pleine bouteille juste au-dessus du pont de CE bateau ! Tu piges ? Allez, c’est ton lieutenant qui te l’ordonne.

J’avais presque tous les droits dans la division de South Blue, la boss m’avait à la bonne et mon commandant me faisait toujours confiance. Une fois j’ai épongé ses dettes au poker sur un quintet d’as. J’en ai toujours un dans ma manche. Pas con le Jo’ ! Bref, j’allais pas laisser tomber les copains. Mon poste à moi c’est à la vigie, tout là haut, là où on poste les meilleurs tireurs depuis qu’on a ENFIN compris qu’on pouvait gagner des batailles avant de les livrer. Ah, ça, j’en ai descendu des petites frappes à tricorne et des vigies en blanc, croyez-moi !

Bref, donc, j’ai grimpé jusqu’à la vigie avec mon Long Bucky Jo’ dans le dos, arme récurrente dans mes aventures, vous verrez, pour me poster tranquillement tandis que la racaille avançait. Là-haut c’est mon sanctuaire, j’ai tout ce qu’il me faut. Munitions miniés, longue-vue et même un petite bouteille de Johnny Shooter bien d’chez nous. Ah oui, j’ai une tenue infinie au whisky de South Blue et j’en ai toujours dans l’sang, sinon j’suis mal. D’ailleurs, je penserai à faire homologuer ma descente au South Book des records. De là-haut j’étais un genre de dieu, j’avais droit de vie et de mort. Tout ça pour dire qu’une fois le pont du bateau précité bien en vue, j’ai sucé une petite gorgée d’sudiste.

-Oh ! Rate pas, hein ! Nan parce que si le mec ratait… bah voilà, quoi. VAS-Y !! Et Mendy a envoyé la sauce. Beau lancer, comme d’habitude. C’est ça que j’aime chez Mendy, c’est qu’il est solide, même fracassé. Mouhahaha ! Et donc, j’ai suivi la bouteille, pleine, dans son trajet jusqu’au bateau d’en face. Stable, serein, extrêmement concentré, j’ai tiré. Long Bucky Jo’, stable, fiable, a fait claquer son verrou et a envoyé une petite perle bien piquante right in the bottle. Et là, même si on était trop loin pour entendre, j’ai bien imaginé le bruit. J’entendais pas mais je voyais bien les gonz. Les éclats et le rhum les avaient pas trop mis à l’aise, si vous voyez c’que j’veux dire. ALLEEEEZ !! Fit-il en se levant et en secouant les bras. ALORS C’EST QUI !! Fit-il en frappant son torse. HEIN ?! C’EST L’KID !! Beugla-t-il. ET VOILA, ET VOILA !! TU FAIS QUOI MAINT’NANT ?! CHUI L’LIEUT’NANT, ET OUAIS MON GARS !! Continua-t-il de façon virile. Puis il entonna le bras en l’air. THEY SEE ME SHOOTIN’, THEY CRYIIIN', THEY SAILIN’ BUT I’LL BE SHOOTIN’ DIRTY, I’LL BE SHOOTIN’ DIRTY, I’LL BE SHOOTIN’ DIRTY, I’LL BE SHOOOTIN DIRTY !! L’équipage l’avait rejoint, ce fut bientôt à ceux des autres navires de l’accompagner, ces paroles étaient, il faut le dire, entre bien d’autres, connues de toute la division sudiste. TOUS TOUS DES SOÛLAAAAARDS, ET FLINGUEEES MAIS ON S’EN FOUT PARC’QU’ON SHOOT DIRTY, WE SHOOTIN’ DIRTY, WE SHOOT DIRTY, WE BE SHOOOTIIIIN DIRTYYYY… !!!!

La magie du meneur envoûtait les équipage de la file sudiste, une magie dont la voix portait aussi bien à l’arrière, jusqu’aux oreilles du gros de la flotte gouvernementale qu’en face, aux oreilles des querelleurs dont la détermination fut, à ce moment précis, fortement mise à l’épreuve par le choeur des mâles accents de South Bue. Une balle, une bouteille et quelques décibels, c’est tout ce qu’il fallait à l’âme du sud pour se sublimer.

Y’en avait même un qui pleurait, en face ! Fallait les voir les vrais sudistes ! Tous fous ! Le Commodore Connor en a profité pour lancer l’assaut. Et là, j’vais vous dire que les mecs en face ils suaient d’la pisse ! C’était comme si tout l’Sud s’était levé pour arracher son indépendance. Mon premier grand fait d’arme.


Cela faisait maintenant deux mois que Jo’ avait quitté sa chère île pour rejoindre la Marine. Le climat qui régnait en caserne lui convenait, étonnamment. Recrue assidue et volontaire, il fut promu première classe dès la fin de la formation obligatoire. Une fierté pour lui qui se voyait déjà Amiral mais le naturel revient toujours là où on l’attend le moins.

J’avais perdu au moins un oeil dans l’histoire. Quelle idée de rentrer dans la mêlée quand y a Mendy dedans, aussi ! Et c’te blaireau d’sergent Falstein de mes deux qui peut pas m’encadrer ! Forcément j’suis l’seul à m’retrouver au trou, hein ! T’façon depuis qu’il sait que j’aime bien déconner sur les mecs de North Blue il m’a à l’oeil. Fallait que je me coltine le SEUL sergent de North Blue dans toute la division du sud !

Je pense qu’il y a rien de pire que le trou, à la Marine. On vous fout à moitié à poil dans un mitard humide, tout seul, sans whisky. Moi j’avais pris sept jours, sept jours à rien foutre, autant vous dire qu’au bout de deux heures je connaissais déjà par coeur l’horizon qu’on voyait de ma cellule. Si vous êtes du genre à dormir toute la journée, le trou c’est pour vous, mais moi j’préfère arnaquer Mendy au poker, descendre du Johnny Shooter ou tirer sur des cibles. Même pas d’tabac ! Nan, vraiment, c’est l’pire endroit.

Quatre jours d’ennui mortel plus tard.

-Deuxième classe Reb ? Ah oui, parce qu’en plus de me foutre au trou comme un lépreux, le gros Falstein avait obtenu ma rétrogradation. Moi qui me voyais bientôt caporal… DEUXIEME CLASSE REB ?!

-C’moi, ouais. Et là… Elle était là, devant moi, pour la première fois. Je ne connaissais que son nom, mais j’ai tout de suite compris que c’était elle. Commandant Connor ! Gaaaaarde à vous !


Ca chambranlait d’partout, on voyait rien, un vrai putain d’cauchemar. Je sais pas combien de ces enfoirés ont chatté mais j’étais loin, très loin, de briser mon record de précision. Normalement on est formé pour être efficace dans ces situations mais là c’était juste pas possible, quoi. Entre les débiles d’en face qui beuglaient, les canons, les bateaux de devant et de derrière qui rentraient dans d’autres bateaux, Falstein qui hurlait sur tout ce qui bougeait. Comment vous voulez travailler dans ces conditions ? Ah, et pour couronner le tout, il s’était mis à pleuvoir. Fumée, pluie, brouillard, la totale.

Et il faut dire que la Marine gouvernementale était bien loin de l’avantage promis par sa stratégie globale. Si la division sudiste avait certes atteint les flancs de la rébellion, sa progression fut stoppée nette par un carambolage provoqué par les bâtiments qu’elle devait contourner à terme. Quant au gros de la flotte, on annonçait déjà la chute d’un des prestigieux Capitaines Corsaires.

Une détonation. Celui-là n’emmerderait plus son monde. Mon commandant tentait de garder son calme et venait régulièrement aux nouvelles par le biais du petit den den machin posté à la vigie. Il fallait le comprendre, le pauvre; fraîchement nommé et déjà sur le point de voir son nouvel uniforme taché. Nan, plus sérieusement, toute notre formation était aux prises avec l’ennemi, on n’avançait plus et j’étais sans doute le dernier Marine à assurer la vigie dans toute la section de South Blue. Ca peut paraître flatteur mais la vérité c’est que ça changeait rien. On attendait simplement qu’un de leurs rafiots vienne nous percuter pour éviter qu’on continu à la leur mettre en verlan.

Et ce qui devait arriver, arriva. Face à l’ingénieuse agression fomentée par l’Amirauté, la rébellion avait opté pour une tactique frontale, peu rentable sur le court terme mais diablement efficace sur le long terme. En effet, l’élégance du début de la bataille navale avait laissé place à un véritable champ de bataille accidenté fait de bois, de cordages et de cadavres agonisants. Sacrifier quelques hommes et bâtiments avait permis aux rebelles de circonscrire l’agression sudiste dans un premier temps pour ensuite, une fois qu’elle serait entièrement défaite, permettre aux hommes encore debout de rejoindre les autres foyers de combat.

-COMMANDANT !! Trop tard, et puis j’pense qu’il l’avait vu, lui aussi. C’est dingue comme un bateau peut être rapide quand on le voit de près. Les bougres ne reculaient devant rien ! On les avait arrosés comme il fallait et ils avaient continué ! J’ai failli tomber. Vous imaginez ? La fin des mes aventures ?!

J’pouvais plus tenir la position, là haut, même leurs tireurs poubelles pouvaient me canarder tranquillement sans que j'puisse riposter convenablement. Le Long Bucky Jo’ sur le dos, et hop ! A Créteil.


Descendre de la vigie était un exercice devenu assez simple, pour moi. Les tireurs de la division de South Blue avaient tous suivi l’entraînement dispensé par la Commodore, c’est d’ailleurs comme ça que j’ai réussi à ne pas tirer une semaine complète au trou. Elle-même étant une experte dans le tir, tout ce que nous savions de la condition du tireur au sein de l’équipage, c’est à elle que nous le devions. Plus que nos compétences de tir, elle nous avait appris à survivre sur un bateau, renseignés sur l’équipement, aussi voilà pourquoi en plus du Long Bucky Jo’ et sa baïonnette, pendait à ma ceinture le Good Shootin’ Reb, arme de poing à six coups.

Le timing de l’indépendantiste avait été parfait, son arrivée avait précédé la cohue de quelques instants à peine, le temps suffisant pour rejoindre la ligne de tireurs qui se formait à tribord pour contrer la charge menée à bâbord. Puis ce fut le choc.


-You fought all the way, Johnny Reb, Johnny Reb, yeah you fought all the way, Johnny Reb, poum poum poum.

J’sais plus si c’est une explosion ou une mandale qui m’a soufflé mais j’ai été bien soufflé. Y’avait plus rien, plus de bateaux, plus personne. Franchement, on avait pris le bon tarif. J’vais pas vous balancer les détails parce que j’suis pas fan de Tolstoï, sachez simplement qu’on était très loin d'avoir gagné. J’avais jamais vu ce genre de bataille et j’étais loin d’imaginer ce que ça pouvait être aussi sale après coup. Les carcasses de bateaux formaient un véritable cimetière flottant, le genre de cimetière en mode fosse commune, quoi. Face à ça, on pouvait que chanter.

-Johnny ! Qui était l’impertinent qui osait m’appeler ainsi ?
-OH ! Y’A QU’MA MERE QUI… Putain c’était Falstein ! Hahaha, le gros Falstein ! Il était emmêlé slash écrasé de partout. Bah alors lieutenant Falstein ? Pour m’foutre de sa gueule j’ai fait mine d’inspecter le barillet du Good Shootin’ Reb, seule arme qu’il me restait, le Long Bucky Jo’ pointant absent. On est prêt à reconnaître la cause de South Blue ? Bouhahaha ! Vous pensiez vraiment que j’allais le sortir de là sans bénéfice ?
-Putain ! Reb ! Sors-moi d’là, arrête de déconner ! T’façon il savait que gueuler, moi j’terminai de recharger mon flingue sudiste..
-Tututute. Le lieutenant Reb pour le lieutenant Falstein ! Oui allô ? Oui, c’est Jo’. ALORS ON EST MORT ? Bouhahaha ! Ce gros porc avait essuyé ses sales bottes pleines de merde sur South Blue tellement de fois que j’me demande encore pourquoi j’ai pas tiré tout de suite. PAN !

Personne autour, au pire j’pouvais toujours dire que c’était un pirate ou qu’il souffrait trop et cetera. C’mec n’était pas une grosse perte pour la Marine. Aucun talent, paniquait tout l’temps, lourd dans tous les sens du terme. Bref, pas un mec intéressant.


Après la bataille que l’on nommera le « Désastre du Gouvernement », notre révolutionnaire national obtint la permission de passer quelques temps sur son île natale. Le Long Bucky Jo’ revit le jour sous une version plus fiable, le marchand de whisky du coin vit son chiffre gonflé, les plantations de tabac reportèrent des manques dans les stocks. Le Reb menait la belle vie.

Cet épisode sanglant changea le quotidien de notre héros à jamais. Les quelques mois passés sur son île et l’exaltation de son retour à la caserne où il pu retrouver Mendy et Tarah Connor furent très vite oubliés. La Marine avait essuyé un grand revers et la paisible vie menée dans les eaux de South Blue appartenait au passé. Il fallait maintenant traquer et capturer sans relâche.

Mais quelque part, South Blue n’avait jamais été aussi proche de son indépendance !