Un vol de pélicans

C’était avec tristesse que Jack avait vu certains des membres être débarqués après les événements de Logue Town. L’escorte d’Hana ne semblait plus nécessiter tant d’hommes finalement. Ainsi le laissa-t-on seulement en compagnie de Brams et de ses matelots. Peut-être avaient-ils entendu parler des exploits de Bart et de Jack pendant les combats contre Klaus et avaient décidé que leur groupe, concentrant tant dénergumènes, attirerait trop l’attention. Peu importait, à vrai dire, le Gouvernement exigeait et les hommes obéissaient. Point barre. Ainsi Jack se retrouva à souffler sa fumée sur la tête de pont, une jambe perdue au-dessus des eaux. Son trench se balançait au gré du vent, claquant derrière lui. Depuis qu’ils étaient partis, Jack était pensif.

Il regarda sa main, une fois de plus. Il avait fait preuve d’une puissance de combat comme jamais vu lors des dernières échauffourées. Il s’était senti le cœur d’un guerrier quelques minutes et n’avait pas oublié ce goût doux et amer de la victoire. Et ce sentiment d’être à sa place dans la mécanique universelle … n’avait pas eu de prix. Mais il avait vaincu un adversaire puissant en un seul coup. Comme si les dieux mêmes du combat l’avaient épaulé une fraction de seconde. Un instinct plus puissant que sa propre volonté. Un sorte de fluide qui …

« Jack ... »

Le Cipher se retourna pour affronter la frimousse désolée de Hana. Depuis que Sabbat était parti, elle n’était plus la même. Elle ne gueulait plus, elle ne frappait plus. Une petite femme modèle, ce qui inquiétait Jack au plus haut point. Elle ne cessait de demander la même chose. L’agent soupira. Il tapota sa poche, où son denden mangeait une vieille feuille de salade.

« Toujours pas, non. Va falloir t’faire une idée, petite. T’es coincée avec moi, et Sabbat reviendra pas. S’il a pas pu te dire au revoir … il devait avoir une bonne raison. » trancha-t-il, se demandant soudain depuis quand il était aussi sympa.

Il était temps d’y remédier, et il ne connaissait rien de mieux qu’une bonne paire de baffes. L’agent soupira et se glissa sur le pont. Il atterrit des deux pieds, ses nouveaux mocassins crissant sur les planches huilées. Les mousses faisaient du bon travail. Il passa sa main calleuse dans les cheveux roses de la navigatrice, qui se laissa faire – pour dire ! Il inspecta le pont, personne ne traînait par là, tous affairés à l’intérieur. Les voiles étaient ferlées, il n’y avait pas de vent et Hana la vigie devait prendre son casse-croûte. Moment parfait pour une petite séance de transpiration.

« Bon, gamine. Sans la peluche dans les pattes, je vais devoir t’apprendre à te défendre toute seule. » commença-t-il.

Hana leva les yeux au ciel, commençant à se diriger vers le pont inférieur. Jack l’attrapa par le col, de son air qui ne plaisantait pas. Qui n’était pas très loin du regard condescendant, et assez proche de celui qui lui donnait l’air méprisant. En bref, sa tête détestable.

« On s’est arrêté sur le geppou, te souviens ? C’est la meilleure solution de retrait en cas … de pépin. Alors, la base, du geppou, c’est quoi ? »

« Maîtriser sa gravité, maîtriser son pas. Chaque fluide de notre corps doit être malléable et ainsi je peux contrôler l’air sur lequel je marche. » récita-t-elle de mauvaise grâce.

« Bien, c’est presque ça. Mais fais attention : tu ne marches pas sur l’air, Hana. C’est l’air qui marche sur toi. Si tu oublies ce fondamental, c'est toi qui te fera malmener par lui. »

Pour illustrer sa démonstration, Jack écarta les bras et décolla d’un bon mètre avant de retomber devant Hana. Ses pieds fumaient légèrement à cause de la friction engendrée. Le vent généré secoua un peu le navire. Il avait du mal à contrôler sa force, récemment. Quelque chose s’était passé à Logue Town et il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Il se sentait bien plus fort qu’avant. Chacune de ses attaques débordait de quelque chose … de plus. Qu’avait donc fait Klaus.

« Ahem. On va éviter les démos si je ne veux pas faire chavirer cette coquille de noix. Donc, gamine, tu vas me faire le plaisir de t’entraîner à ce mouvement. » fit-il, en lui tournant le dos.

« Mais … comment tu veux que je fasse ça ? Comment je peux … durcir l’air, crétin ? » se rebella la petite.

Ah, enfin un peu de combattivité.

« Frappe le jusqu’à ce qu’il soit dur. » ricana l’agent, commençant à se diriger vers le pont inférieur.

Il avait Sinister 3. L’unique, le seul. Le véritable. Jack haussa un sourcil, il avait balancé ça dans le vide comme si de rien n’était. Mais Brams était indéniablement un homme de goût. L’homme remonta dans son estime, malgré le fait qu’il fut incapable d’arrêter une petite frappe comme Yaku. Mais bon, personne n’était parfait. Sauf Jack. Sauf si son ego était considéré comme une imperfection. Dans ce cas elle était de taille. Mais il était célèbre, beau et … tout émoustillé par le fait que Brams ait lu une de ses œuvres. Ce n’était pas une raison pour laisser sa tête gonfler. Il souriait comme un imbécile. Ce que disait De Leone était donc vrai … les éditions marchaient bien. Jack ne comprenait pas commence cela avait pu être aussi rapide. Lui, un auteur bleusement reconnu. C’était … incroyablement normal vu son talent. Ah ah.

« Oui, pour me protéger moi, en effet. » trancha-t-il, avec un sourire entendu.

« Le pas de Lune … c’est plutôt quelque chose de confidentiel, tu sais. Enfin … je connais quelques gars qui l’ont appris de leur côté, ceci dit. Dans la théorie, ça consiste à rendre l’air suffisamment dur pour marcher dessus. Augmenter la pression du fluide, un machin comme ça. ‘fin j’écoutais pas trop quand on me l’a appris. » marmonna Jack en se passant une main dans les cheveux.

Jack regarda une nouvelle fois autour de lui, son regard s’attardant sur un coin du navire. Hm. Aucun matelot à portée. Il remonta sa manche et plaça sa main devant Brams. L’image de son membre sembla soudain se brouiller à mesure qu’il pliait ses doigts. Tous sauf l’index. Ile le rapprocha de son pouce et, d’un coup exécuta une pichenette vers un tonneau qui vola en éclat sous l’impact de la bille d’air que Jack venait d’y envoyer d’un rapide shigado. Une variante du shigan permettant de créer une balle d’air solide pour réaliser ce dernier à distance. C’était une technique qu’il n’avait pas encore abordée dans son livre, et le plaisir de l’exécuter en primeur devant un de ses lecteurs l’avait un peu poussé à se la jouer plus que de mesure. C’était à ce genre de chose qu’il s’entraînait ces derniers jours, trouver des manières discrètes de mener ses actions … et arrêter de se salir le doigt.

« Le principe est similaire. Malaxer l’air pour le rendre solide. Pour le pas de Lune … le geppou … c’est la même idée. » fit-il, avec un sourire qui en disait long.

« Frappe l’air jusqu’à ce qu’il t’obéisse, c’était ce que me répétait mon instructeur. Mais, évidemment, les arcanes du rokushiki sont secrètes. Et réservées seulement aux agents. » poursuivit Jack, sa main semblant toujours floue.

Soudain, il exécuta une pichenette vers un coin du bateau, non loin du premier tonneau et une bille d’air traversa une caisse entreposée là, avant d’aller s’enfoncer dans le sol à quelques centimètres d’un certain pied.

« Et le sort qui attend ceux qui s’emparent de ces secrets est la mort. »

Sinister 3, les nonnes de Saint-Urea – chapitre 13. Putain, ça, ça avait la classe.

À mesure que l’intrus s’éloignait avec son Bart, Jack cessa de jeter à Winston des regards courroucés. Il en profita pour tirer discrètement un dendenmushi de ses poches, s’assurant mieux que précédemment qu’aucun espion ne puisse se trouver dans les parages. Il défit le petit bâillon qui trônait sur la bouche de la bestiole, qui cessa alors de se trémousser et n’eut pas le temps de lâcher un son strident avant que l’agent ne rapproche sa bouche de son oreille. Il compressa la coquille de la bête pour que le son ne puisse s’entendre trop loin.

« Hm. Hm hm. Je vois. Ah. D’accord. Non, non. Oh, une histoire de vengeance, de justice personnelle et de lutte pour la vérité. Oui c’est ça, rien dont je ne me passerai. Ishiro ? Oui oui. Pourquoi pas. Un tournoi ? Bon sang … Intéressant. Non, enquêter oui. Bien sûr que je n’y participerai pas. Je comprends monsieur, je suis l’ombre, je suis un agent. Attendez … vous dites sans cesse qu’un cipher pol doit voir plus loin que les ordres, ça signifie que vous voulez que … Répéter ? Non, ça ira. Pas de soucis monsieur. Blanc, mon denden ? Heu … Je crains de ne pas avoir reçu la feuille de salaire qui … Je ferai le nécessaire, pas de soucis. Et bien … »

Quelle impolitesse … Jack soupira de dépit en se faisant raccrocher au visage, puis il secoua la tête en se rapprochant de Bart et de son frère.

« Bon, je suis appelé ailleurs. Dès que nous aurons débarqué sur Briss, il faudra que je m’éclipse pour voir un client. Voici mon denden personnel, la mission reste inchangée. Peu importe le prétexte que vous trouverez, il sera logique. » commença le Cipher, en indiquant du pouce la terre qui commençait à se rapprocher.

« Je serais dans mes quartiers, à faire mes paquetages. D’ici que mon navire arrive, je serais là quelques jours. Je me rends au point de rendez-vous, je brieferai la petite avant de vous la renvoyer. » expliqua-t-il, un peu plus en profondeur tout en essayant de parler à mots couverts pour que seul le chef de bord comprenne l’essentiel des informations.

Hana aurait droit à une session privée, avant tout. Il devait au moins ça à Sabbat. Avant de lui renvoyer le paquet dans les pattes ! Le Cipher soupira de nouveau en se grattant la tête. Il lui faudrait aussi sa réserve de clopes …

« Bon, si vous permettez … » s’excusa-t-il, un peu pataud.

Il n’était pas du genre à vraiment s’excuser, mais la mission confiée par la hiérarchie était de classe une. Priorité des priorités. Ils jugeaient les hommes de Bart plus que compétent pour assurer la sécurité de la jeune femme, et la surveiller. Jack était le bonus, la cerise sur le gâteau. Et ils avaient estimé que si Hana devait être neutralisée, ils auraient bien le temps de s’en préoccuper plus tard. Jack était donc exempt de ce problème pour l’heure … ce qui l’arrangeait plutôt bien.

« Allez, Otter, va falloir se préparer à débarquer. Une petite expédition sur les terres puis on partira à Ishiro, on a besoin de nous là-bas. » ordonna-t-il à la loutre, une fois dans ses quartiers.